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Commanderie de Puimoisson

Département: Alpes-de-Haute-Provence, Arrondissement: Forcalquier, Canton: Manosque - 04

Domus Hospitalis Puimoisson
Domus Hospitalis Puimoisson

CHAPITRE PREMIER
— Donation d'Augier à Gérard Tenque (1120).
— Arrivée des Hospitaliers à Puimoisson.
— Notice sur l'Ordre.
— Nouvelle donation (1125).
— Confirmation par Foulque (1134).
— Donation de Reymond Béranger (1150).
— Confirmation par Géraud et contestation apaisée (1150).
— Confirmation de saint Apollinaire à l'église de Valence. (1178).
— Dépaissance à Bras (1192).
— Donation de Telle et réception de Cordel dans l'Ordre (1194).
— Donation de Mauroue (1198).


A la suite des invasions des barbares, des Incursions sarrasines et des tracasseries des guerres féodales, de grands maux avaient fondu sur l'Eglise. Durant les années d'anarchie sociale qui donnèrent naissance à ce pouvoir nouveau appelé la féodalité, la violence et la spoliation l'avaient réduite, chez nous, à une situation misérable.

Ils furent institués canoniquement par le pape Pascal IL et leur règle fut approuvée par le pape Calixte II, en 1120.
C'est vers cette époque, vraisemblablement cette même année 1120, que l'évêque Augier donna à Gérard Tenque lui-même, fondateur et premier grand-maître de l'Ordre, et par une simple tradition fiduciaire, l'église de Saint- Michel de Puimoisson, avec ses dîmes et ses dépendances, réservant comme tribut annuel à l'église de Riez trois boisseaux de blé, trois boisseaux d'orge et deux livres de poivre (1).
1. — Il est communément admis que Gérard de Tenque mourut en 1121. C'est donc au plus tard en 1120 que la donation de Puimoisson lui fut faite, puisque, d'après Reybaud (Grand Prieuré de Saint-Gilles, Aix), c'est à Gérard lui-même que l'évêque fit cette donation.
Dès lors, les Hospitaliers vinrent se fixer à Puimoisson pour desservir l'église de Saint-Michel, qui venait de leur être confiée. Cette église n'était point paroissiale.

Cinq ans plus tard, l'évêque Augier, édifié par la vie exemplaire que menaient les Hospitaliers, trouvant, d'autre part, dans le clergé paroissial, une grande négligence dans l'accomplissement des devoirs de sa charge et dans le payement des redevances dues au chapitre, résolut de confier exclusivement aux religieux tout le domaine spirituel du pays. De concert avec Guillaume, prévôt de sa cathédrale, Aldebert, archidiacre, et tous les chanoines, il donna l'église paroissiale de Puimoisson, avec toutes ses dépendances, à l'hôpital de Jérusalem, à l'église de Saint-Michel et aux Hospitaliers et clercs qui y vivaient, ainsi qu'à leurs successeurs, sauf la redevance convenue de six boisseaux, trois de froment, trois d'orge, et deux livres de poivre (2) (1125) ; et ce n'est plus par simple tradition fiduciaire qu'il leur fait cette cession, mais par un acte écrit et revêtu de toutes les formes. « L'autorité ecclésiastique et la loi romaine, dit-il, ont établi que quiconque veut transférer sa chose propre en puissance d'autrui doit le faire par témoignage écrit. Car un acte revêtu des formes légales donne à la chose concédée ou livrée de bonne foi ou échangée à toute autre condition une force perpétuelle et en garantit à jamais la propriété de trouble et de contestation. »

Le sage prélat, on le voit, eut recours à la tradition fiduciaire tout d'abord, qui lui laissait la faculté de changer de détermination, et ne s'engagea vis-à-vis des Hospitaliers par un acte solennel et légal qu'après qu'une expérience de cinq années eut justifié ses espérances et l'opportunité de son choix.
Par le fait de cette donation, les Hospitaliers furent investis du pouvoir spirituel dans le pays et substitués au clergé séculier, puisqu'ils eurent l'administration de l'église paroissiale. Et, chose étonnante, on ne leur imposa, en retour de cette donation, d'autre redevance que celle imposée déjà lors de la cession de l'église de Saint-Michel. L'omission de cette clause donna lieu, trente ans plus tard, à une contestation suivie d'un compromis, dont nous parlerons bientôt.

Ce qui ressort clairement de l'acte que nous venons de citer, c'est d'abord :
1° qu'il y avait, à cette époque, deux églises à Puimoisson, dont l'une paroissiale et l'autre dédiée à Saint-Michel: une était l'église du Castrum, l'autre l'église de la Villa, car, ainsi que nous l'avons dit plus haut, le Castrum et la Villa étaient séparés : cela explique comment l'évêque donne l'église paroissiale à l'église de Saint-Michel, la fondant pour ainsi dire dans cette dernière et la lui soumettant.

2° que déjà, en 1125, des Hospitaliers et des clercs résidaient à Puimoisson pour y desservir l'église à eux confiée verbalement par Augier, en 1120.

En l'année 1134, Foulque de Castellane, qui avait succédé à Augier sur le siège de Riez, fut appelé à confirmer en faveur des Hospitaliers la donation faite par son prédécesseur.

Cet Ordre puissant, à peine à sa naissance, s'étendait déjà fort au loin, et ses richesses s'augmentaient chaque jour de donations nombreuses et importantes Les papes le prenaient sous leur protection, lui accordaient de grands privilèges : les princes, les seigneurs, les gentilshommes se rangeaient à l'envi sous ses étendards, à cette époque où florissait la chevalerie, et, en prenant l'habit et la croix de l'Ordre, y faisaient entrer en même temps la meilleure partie de leurs grandes seigneuries.

Toutefois, l'Ordre n'avait pas établi encore à Puimoisson le siège d'une commanderie, n'y possédant que le pouvoir spirituel et n'y percevant d'autres revenus que ceux de la dime des deux églises qu'il y desservait ; le pays relevait encore du comte de Provence.

Ce prince, cédant à son tour au mouvement de générosité pieuse qui se faisait sentir partout, devait bientôt s'en dessaisir, partiellement du moins, en faveur des Hospitaliers. En effet, en septembre 1150, Reymond Béranger II, comte de Provence, assisté de son oncle et tuteur Reymond, comte de Barcelone, prince d'Aragon, leur donna, en franc-alleu, le village de Saint-Michel de Puimoisson, avec plusieurs autres privilèges, et jeta ainsi les fondements de la puissance temporelle de l'Ordre dans notre pays.

L'instrument qui contient cette donation nous paraît d'une importance telle pour l'histoire que nous n'hésitons pas à en insérer ici la traduction, renvoyant le lecteur aux pièces justificatives pour en étudier et contrôler le texte.

« Au nom de la Sainte-Trinité, nous Reymond, par la grâce de Dieu comte de Barcelone, prince d'Aragon et marquis de Provence, de concert avec mon neveu, Reymond Béranger, comte de Provence, donnons, concédons et fermement allouons à la sainte maison de l'Hôpital de Jérusalem et au vénérable Arnal, prieur de Saint-Gilles, ainsi qu'à tous les frères du susdit Hôpital, tant présents que futurs, librement et en franc-alleu, le village (villam) de Saint-Michel de Puimoisson, avec toutes ses dépendances et tout ce qui lui appartient à quelque titre que ce soit. Nous donnons aussi et allouons au susdit Hôpital, à tous ses membres, au susdit prieur Arnal et à tous ses frères à venir un droit de gîte (à prendre) chaque année, dans tous les châteaux et villages de Provence, chez un des hommes les plus honnêtes et les plus importants, là seulement où ils n'auront pas d'Hôpital.
Nous leur donnons aussi et allouons le droit de prendre dans la forêt de pins de la Camargue la quantité de bois sec qu'ils voudront pour les besoins de leurs manoirs de Saint-Gilles et d'Arles. Nous leur concédons encore et allouons fermement la franchise de tout péage et de toute redevance; établie par les anciens usages dans tous les pays du comté de Provence, soit qu'ils aillent, soit qu'ils viennent, parterre ou par eau pour n'importe quel motif. Toutes les concessions ci-dessus, interprétées dans le sens le plus favorable possible à l'Hôpital et à tous ses frères, sont faites par nous à ladite maison de l'Hôpital et aux frères, aux fins qu'ils possèdent ces droits et jouissent à perpétuité des privilèges que nous leur avons concédés pour la rémission de nos péchés et pour le salut des âmes de nos ancêtres et notamment de notre frère Reymond Béranger, vivant comte de Provence, dont le corps est déposé dans l'église de Saint-Thomas d'Arles, appartenant audit Hôpital (3). Que si, dans la suite, quelqu'un essayait de violer ou de rompre notre présente donation, que celui-là n'en retire aucun profit, mais qu'il encoure, avec le traître Judas, la colère de Dieu, et qu'à jamais demeure solide et inébranlable la présente donation, qui a été faite au mois de septembre, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1150. » Suivent les sceaux et noms des témoins (4).
3. — C'est Béranger Reymond, comte de Melgueil et de Provence, frère de Reymond Béranger le Vieux et père de Reymond Béranger le Jeune, enseveli dans l'église de Trinquetaille. (Bouche-du-Rhône)
4. — Bibliothèque de Carpentras. Fonds Peiresc, XLVIII. — Vid. etiam, Bouche, tome II, page 138.


Par suite de cette donation du comte de Provence, le village de Saint-Michel de Puimoisson devenait un fief appartenant aux Hospitaliers et quant au spirituel et quant au temporel. Mais ce que les auteurs qui parlent de cette donation n'ont ni remarqué, ni fait ressortir, c'est que le comte de Provence ne leur cède pas le Castrum sur lequel il garde ses droits seigneuriaux comme château fermé et qu'il ne leur vendra que plus tard, et pour la somme de dix mille sous raymondins. Car il importe de ne pas perdre de vue qu'il y avait ici, à cette époque, la Villa et le Castrum, et surtout de ne pas confondre l'un avec l'autre. Il n'est donc pas exact de dire, avec Feraud, commentant cette charte, que Reymond Béranger abandonna à l'Ordre le lieu de Puimoisson sans aucune retenue quelconque (5); ni avec Guichard, « que cette donation compléta la puissance de l'Ordre à Puimoisson (6) » , puisque, d'une part, la charte ne donne que la Villa sancti Michaelis et que, d'autre part, le Castrum releva du comte de Provence jusqu'en 1231, époque à laquelle il le vendit aux Hospitaliers, ainsi que nous le dirons en son lieu. Cinq ans plus tard, en 1155 et le XIII des calendes de février, Pierre Géraud, qui avait succédé à Foulque de Castellane sur le siège de Riez, fut prié de confirmer en faveur des Hospitaliers les donations faites par Augier et approuvées par Foulque. Il le fit, de concert avec Bérard, prévôt du chapitre, et du consentement de tous les chanoines, en portant toutefois de deux livres à quatre livres de poivre la redevance imposée à l'Ordre en faveur de la mense capitulaire. La charte de confirmation fut dressée eu présence de Pierre, évêque, de Bérard, prévôt, de Guillaume de Beaudinard et de Mainfroid, Hospitaliers, et dont l'un, ajoutons-nous, était probablement commandeur de Puimoisson (7).
« Auxquels, ajoute la charte, cette donation a été faite »
5. Feraud, Souvenirs religieux, page 99.
6. Guichard, Souvenirs historiques, etc. Ordre de Malte, page 19.
7. Archives de Saint-Jean d'Arles. Mss Chaix.


La qualité des personnages qui signent cette charte, les termes dans lesquels elle est conçue et la bonne entente qui paraît régner entre les parties ne permettaient pas de supposer que bientôt un conflit sérieux allait s'élever entre elles, au sujet d'une affaire qui paraissait réglée à leur mutuelle satisfaction. Toutefois, Tannée suivante (1156) vit s'élever une contestation entre révoque et son chapitre, d'une part, et les Hospitaliers, de l'autre. Le chapitre et le prélat voulaient rentrer en possession de l'église de Sainte- Marie et de ses dîmes, parce que, disaient-ils, cette église n'avait été cédée aux Hospitaliers qu'à titre précaire et par simple tradition fiduciaire. De leur côté, les Hospita-liers prétendaient qu'ils possédaient cette église en vertu d'une donation régulière et légitime, qu'ils payaient la redevance constituée à l'époque de la donation et qu'ils la desservaient paisiblement depuis trente années.

L'évêque Géraud, à l'arbitrage duquel on en référa, parut embarrassé par l'ambiguïté de la preuve. D'un côté, en effet, la donation légitime, rendue authentique par Augier, confirmée par Foulque et par Géraud lui-même, le payement exact, régulier, de la redevance établie, enfin la paisible possession trentenaire constituait un titre tout à fait probant en faveur des Hospitaliers. D'autre part, on ne se rendrait pas compte du motif sur lequel la partie adverse pouvait baser ses prétentions, si on ne supposait, ce qui seul, du reste, peut donner un semblant de légitimité à ses revendications, que le titre de paroisse dût être transféré par les Hospitaliers de l'église de Sainte-Marie à l'église de Saint-Michel et que, dès lors, l'ancienne église paroissiale, dépouillée de son titre et devenant simple église

secondaire, ne pouvait plus être la même que celle qui était comprise dans la donation d'Augier, qui concédait une église paroissiale, ecclesiam parochialem. Elle devait donc revenir à la mense capitulaire, puisqu'elle n'était plus dans les conditions énoncées par le donateur, c'est-à-dire paroissiale. C'est la seule supposition, nous le répétons, qui donne quelque apparence, bien spécieuse toutefois, de légitimité aux revendications du vénérable chapitre. On comprend que l'arbitrage fut difficile. Cependant, les titres des Hospitaliers paraissant incontestables, l'évêque inclina de leur côté. Il leur attribua donc l'église qui faisait l'objet du litige, celle de Saint-Hilaire, détruite à la vérité, mais possédant encore son tènement, et toutes les autres églises qui seront construites sur le terroir de Puimoisson. Toutefois, pour sauvegarder les droits de l'église de Riez, il fit cette cession sous la redevance annuelle de neuf boisseaux, moitié froment, moitié orge, et de deux livres de poivre. L'acte fut dressé dans l'église de Riez, avec le consentement du chapitre, en présence de nombreux témoins, et notamment de Pierre, évêque de Sisteron (8). « Dès lors, dit Fisquet, citant un extrait de cette charte, les Hospitaliers furent exclusivement ci absolument propriétaires de toutes les églises du territoire de Puimoisson. » A notre avis, l'historien va plus loin que ne le permettent les termes de la charte. Le donateur a parlé des églises qui seront construites à l'avenir, mais ne concède pas toutes celles qui existent actuellement.

En effet, l'église de Saint-Apollinaire, bâtie sur le territoire de Puimoisson, ne leur appartenait pas, mais relevait de l'église de Valence, qui la faisait desservir par les moines
8. Archives de Saint-Jean d'Arles. — Cet évêque de Sisteron était Pierre III de Sabran (1143-1169), qui signa beaucoup de donations faites aux Hospitaliers, notamment celle du 30 mai 1149, par laquelle Guigues, comte de Forcalquier, leur donna la ville de Manosque.

de l'abbaye de Saint-Tiers de Saou, ainsi que nous le prouve l'instrument que nous avons cité déjà deux fois au cours de ce travail et que nous demandons permission au lecteur d'invoquer encore.

En l'année 1178, l'empereur Frédéric, se trouvant à Vienne (Dauphiné), dut s'occuper d'accommoder les différents qui s'étaient élevés entre les Valentinois et leur évêque. Il fut prié par ce dernier de confirmer, en faveur de l'église de Valence, la donation de l'église de Saint-Apollinaire de Puimoisson, faite par Charlemagne. Il le fit par acte donné à Vienne, le XV des calendes de septembre, l'an 1178, indiction 11 (9).
9. On trouvera la transcription de cet important document aux pièces justificatives, et le document lui-même à la bibliothèque de Carpentras. Acta ad fimandam, etc., tome II, n° viii, folio 120, v, et suivant, du 32 mss, n° 502. Nous n'envoyons le lecteur qu'à Carpentras et non à Vienne en Autriche, comme l'a fait un très distingué, mais peu charitable confrère auquel nous nous étions tout d'abord adressé et qui possédait copie de la pièce prise à Carpentras. Le savant professeur autrichien Grassauer, custos de la bibliothèque impériale et royale de l'université de Vienne, a été plus aimable, et c'est grâce à ses indications que nous avons pu trouver ce document que nous cherchions depuis longtemps.

Jusqu'à ce jour, la commanderie naissante ne possédait rien en dehors du terroir de Puimoisson, et ses revenus se bornaient au produit de la dîme et à la perception des droits seigneuriaux dans la Villa de Saint-Michel. Mais voici que ses possessions vont s'étendre et que le chef va avoir des membres (10).
10. En style de l'Ordre, la commanderie était appelée chef ; les terres en dépendant, mais situées loin de l'Hôpital ou en dehors du terroir, s'appelaient membres ou filholes.

C'est d'abord Pierre de Bras qui donne au commandeur le droit de dépaissance dans toute l'étendue de sa juridiction (1192) (11).
11. Archives des Bouches-du-Rhône, H, 857.

Pons de Bras lui concède la moitié du devens vieux dit « le Vallon des Trois-Pierres », donation confirmée par Guillaume de Bras (13).
13. Archives des Bouches-du-Rhône, H, 857.

Mais une donation autrement importante fut celle que fit Cordel, seigneur de Brunet, en entrant dans l'Ordre. Il lui apporta, en effet, le grand domaine de Telle, qui était terre seigneuriale relevant de sa directe et qui devint le premier et le plus ancien membre de notre commanderie. Les détails particuliers que contient cette pièce intéressante, au sujet de la donation, des engagements réciproques des parties et de la cérémonie de réception, nous déterminent à la traduire intégralement, pour la faire mieux apprécier des lecteurs.

« Sachent tous les hommes présents et à venir que moi, Gordel de Brunet, j'ai donné ma personne d'abord à, l'Hôpital de Jérusalem et aux pauvres de cet Hôpital, choisissant ma sépulture dans le cimetière de l'Hôpital de Saint-Michel, de façon à ne pouvoir me vouer dorénavant a aucun autre Ordre religieux (14). Ensuite j'ai donné la Condamine de Telle et une pièce de terre qui est près de ladite Condamine (15), laquelle pièce de terre avait été possédée autrefois par la maison de l'Hôpital, à la suite d'un arrangement. Quant à la dîme de cette condamine, je l'ai échangée (16) au recteur de l'église de Brunet pour la redîme de la terre de Raymond de Brunet, que j'ai donnée au susdit recteur Isnard, ce qui lui a plu et convenu.
14. C'était une sorte d'engagement de stabilité qu'il prenait en entrant dans l'Ordre.
15. Unam peciam terre que est juxta Condaminam. — Cette pièce est une terre d'une étendue considérable qui, chose remarquable, fait partie aujourd'hui encore du domaine de Telle, quoiqu'elle en soit séparée et appartienne à la commune de Brunet. On ne la désigne encore actuellement que sous le nom de « pèço de Brunet »
16. « Concambiavi. » — En détachant de la circonscription paroissiale de Brunet les terres de Telle, sur lesquelles le curé de Brunet avait le droit de dîme, il devenait juste et nécessaire de lui attribuer une dîme équivalente sur une autre terre. C'est ce que fait le donateur.


Cette condamine commence: du côté du levant, au chemin qui va à la Font de Telle, jusqu'au chemin de Valensole ; de l'autre côté, elle se termine au chemin qui va de Saint- Michel (Puimoisson) à Brunet, et ces deux limites comprennent toute l'étendue de la donation qui est faite librement, absolument et sans réclamation de qui que ce soit. Si quelqu'un voulait y contredire, qu'il sache que j'ai dû et voulu donner absolument tout cela à la maison de l'Hôpital de Saint-Michel et que j'ai fait serment de le laisser tel quel à perpétuité. En outre, aussi longtemps que je vivrai, je dois donner trois sous (III solidos) annuellement à l'Hôpital. A la fin de ma vie, je donnerai mon cheval, mes armes, ma cuirasse, et mon corps sera enseveli là (17).
17. Au XIe et au XIIe siècle, beaucoup de nobles chevaliers donnaient leur cheval et leurs armes et quelque redevance aux diverses commanderies de l'Ordre. On trouve de nombreux exemples de donations de cette nature dans le « Rôle des donations faites à la commanderie de Saint-Martin de Gap, n° 31, 32, 33, 34, 35, 37, 47, 49, 57, 58, etc. » , publié par l'abbé P. Guillaume, archiviste des Hautes-Alpes. (Origine des Chartes, page 15)

Que si je n'avais pas de cheval, j'ai résolu de donner 300 sous pour l'Hôpital : j'ai donné tout cela à l'Hôpital de Jérusalem pour le salut de mon âme, de celle de mon père, de ma mère; que cette donation soit ferme et établie à jamais. Amen. Cela fait, Sanche de Lombers, commandeur de l'Hôpital de Saint-Michel, du consentement et désir de tous les frères demeurant là avec lui, m'a reçu à titre de frère et m'a rendu participant.de toutes les bonnes œuvres, aumônes, prières qui se font et se feront à jamais dans l'Hôpital de Jérusalem. De concert avec ses frères, le commandeur a décidé qu'après ma mort et pendant une année, un chapelain de la maison de l'Hôpital chantera tous les jours la messe pour le salut de mon âme et de celle de mon père et de ma mère. Furent témoins : Datulus ; W. Datuli ; Raymond de Brunet ; Guillaume Raymond et Gauffred, chapelains de Moustiers ; Martin ; (mot illisible) ; Turrel ; Pons Chardousse ; Guillaume Ros ; Raymond Bompart; Pierre Bota, prêtre ; Pierre Guiz ; Bertrand Artel ; Hugues Taxil.
Fait dans le cloître de Moustiers, Fan 1194, mois de décembre, régnant l'empereur Henri et Umbert, évêque de Riez. Amen. »

Cette donation, confirmée pins tard par le même Gordel, devenu frère hospitalier, était très importante tant à cause de la grande étendue de terrain qu'elle comprenait qu'à cause de sa proximité du terroir de Bras, où la commanderie possédait déjà le droit de dépaissance. Ce premier membre de la commanderie de Puimoisson, qui commence la longue série des donations qui lui furent faites successivement, lui resta uni jusqu'à la Révolution.
Quatre ans plus tard, un autre membre vient se rattacher à ce tronc déjà puissant et en augmenter les revenus. C'était la terre de Mauroue, qui était située moitié dans le terroir de Puimoisson, moitié dans celui de Riez.

Mauroue
Département: Alpes-de-Haute-Provence, Arrondissement: Forcalquier, Canton: Manosque - 04

Domus Hospitalis Mauroue
Domus Hospitalis Mauroue



Cette donation, qui a le caractère d'une réparation et à laquelle les auteurs donnent intentionnellement la plus grande notoriété possible, fut faite par Spade et Guillaume Augier, riches seigneurs de la ville de Riez, en réparation des dommages et des mauvais procédés dont ils s'étaient rendus coupables à l'égard de la maison de l'Hôpital de Saint-Michel de Puimoisson. Ces grands envahisseurs des terres d'autrui, ces violents oppresseurs de tout droit et de toute justice n'étaient pas toujours bien cuirassés contre les atteintes du remords, et la terreur des jugements de Dieu leur inspirait seule, parfois, quelques sentiments de justice. Voici en quels tenues nos deux seigneurs formulent leur amende honorable : « Sachent tous les hommes présents et à venir que Spade et Guillaume Augier, pour le dommage et le mal qu'ils ont causé à la maison de L'Hôpital de Saint-Michel 4e Puimoisson, en réparation de tous leurs méfaits, pour le salut de leur âme et de celles de leurs prédécesseurs, ont donné la Condamine de Mauroue, qui part de la Mote y renfermée, de la terre de Bertrand Esparron, et va jusqu'au chemin de Saint-Julien, qui sépare le terroir de Riez de celui de Puimoisson (18).
18. Mota. — Titmulus seu collis cui inedijîcatum est castellum ; in diphinatu Poypia. — C'est la mote seigneuriale, monticule naturel ou fait de main d'homme avec fossé tout autour, fortifié avec tours en bois ou en maçonnerie et disposé en rond. C'était quelquefois une simple position de défense, quelquefois le principal manoir du fief. Les noms de pays dans la composition desquels entre « la Mote » n'ont pas d'autre origine que celle-la. Remarquons que le monticule désigné dans cet instrument et situé au-dessus de la campagne de Mauroue porte encore le nom de « la Moute »

Si, dans l'entendue des termes susdits, il se trouve quelque terre possédée par un autre, Spade doit en faire l'acquisition et la remettre en franc-alleu à l'Hôpital ; c'est ainsi qu'il a juré de le faire sur le texte des Evangiles. Cette réparation a été faite dans le bourg déjà cité de Riez, en présence de presque tout le peuple de la ville, au mois d'avril 1198 (19). »
19 ... Fuit autem hec restauracio facta in burgo Regensis civitatis ante domum Amedei, in audiencia et presentia tocius fere regensis populi, mense aprili M° C° N° VIII°.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 853.


Cette belle pièce originale, signée de cinquante-quatre témoins et curieuse surtout à cause du grand nombre de noms qui y figurent, sera transcrite aux pièces justificatives. Spade et Guillaume ajoutèrent à cette donation un droit de dépaissance dans tout le terroir de Riez, la franchise des leydes et la majeure directe et seigneurie sur un homme de Riez appelé Augier Regainat et sa postérité. Agnès, fille de Spade, confirma plus tard ces importantes donations et y ajouta quelques terres.

Ce domaine, qui resta uni à la commanderie jusqu'en 1789, faillit devenir un arrière-fief. Le 16février 1789, le chevalier de Gaillard et Alexandre de Gueydan vinrent sur les lieux et, constatant le mauvais état du domaine et les réparations coûteuses qui s'imposaient, délibérèrent d'ériger Mauroue et la Grande-Bastide en arrière-fief à bail emphytéotique de 99 ans, à raison de 600 livres par an et 50 francs à chaque changement de commandeur, ou bien un éperon d'or, comme don de bienvenue. On lui attribuait un droit de chasse jusqu'à Brunet. Mais c'était bien tard s'occuper de constituer des arrière-fiefs et passer un bail emphytéotique de 99 ans ! La tempête révolutionnaire grondait, menaçante, et son souffle puissant devait bientôt disperser au loin et le projet et les auteurs eux-mêmes.

CHAPITRE II
Donation d'Aiguines à Saint-Apollinaire et reconstruction du pont par le prieur (1210).
— Sentence arbitrale entre le commandeur et le seigneur de Puimichel (1220).
— Confirmation par Cordel, fils, et son entrée dans l'Ordre (1230).
— Vente du Castrum de Puimoisson par Reymond Béranger V (1231).
— Construction du palais et de l'église.
— Donation de Blacas d'Aups et de Laure de Castellane (1231).
— Donation du défend de la Silve (1233).
— Vente par Blacas et Laure de leurs droits seigneuriaux (1233).
— Echange de l'église de Saint-Apollinaire (1233).
— Sentence arbitrale de l'évêque de Riez (1233).
— Donations diverses.
— Compromis entre l'évêque de Riez et le commandeur au sujet de la perception des dîmes.

Avant d'énumérer en détail les donations nombreuses et les acquisitions importantes qui remplissent le XIIIe siècle, nous devons nous occuper d'un fait remarquable dont le prieur de Saint-Apollinaire fut l'acteur principal et qui, par ce point, appartient à notre histoire. Nous voulons parler de la reconstruction du pont d'Aiguines, sur le Verdon et de la cession de ce pays au prieuré de Saint-Apollinaire, qui en fut la conséquence.

La route qui fait communiquer le Var avec les Basses-Alpes et traverse le Verdon sous le village d'Aiguines (83) avait, à cette époque, une plus grande importance qu'elle ne l'a aujourd'hui. De bonne heure, un pont avait été jeté sur cette rivière, pour faciliter les communications. Confié d'abord aux Pontiers ou Hospitaliers-Pontifes, dont l'institut avait pour but de construire et d'entretenir les ponts, de prêter main-forte aux voyageurs contre les entreprises des dévaliseurs de haut et bas étage qui infestaient les chemins, d'établir des bacs pour leur commodité et de les recevoir dans leurs hôpitaux, bâtis sur les bords des rivières, il avait passé ensuite aux mains de la milice des Spades (1). Il parait que ces derniers, au lieu de s'occuper de l'œuvre du pont avec le zèle et la charité que demandait cette institution essentiellement humanitaire et sociale, la négligèrent à un tel point que le pont tomba en ruine et que la maison d'hospitalité bâtie auprès ne fut plus en état de recevoir les voyageurs. Le lieu d'Aiguines menaçait d'être abandonné, ne pouvant plus communiquer avec les pays de la rive opposée.

L'évêque de Riez, Hugues de Raimond, s'émut de cet état de choses. Il voulut reconstituer cette œuvre et protéger les voyageurs et les pèlerins contre la rapacité des batteurs d'estrade, qui les attendaient parfois au bord des rivières pour mieux les dévaliser, et contre la malice des barquiers, qui, quelquefois, passaient les voyageurs dans l'autre monde au lieu de les passer à l'autre bord. Il se transporta donc sur les lieux et constata par lui-même qu'effectivement le pont d'Aiguines marchait vers une destruction imminente ; que, par suite de la négligence et de l'absence des préposés, l'œuvre du pont était réduite à rien (2) et que le lieu d'Aiguines, quoique habité encore, serait bientôt abandonné, les porte-glaives ne se souciant pas de ce pays (3).
1. En 1199, les comtes de Provence s'engagent à prendre sous leur sauvegarde et protection la milice des Spades et les maisons des Pontiers. — Archives des Bouches-du-Rhône, B, 299.

A la demande et sur les instances de la milice des Spades qui habitait alors le pays (quoique d'autres auparavant l'eussent habité qu'on appelait Pontiers) (4), suivant les vœux et les désirs de ceux qui desservaient le pont et tenant compte de la volonté et du consentement de presque tous les voisins et particulièrement des chevaliers et des principaux habitants de Moustiers-Sainte-Marie, tous d'accord sur ce point, dit la charte : « Nous avons donné et concédé ce lieu (d'Aiguines) à l'église de Saint-Apollinaire et au prieur Jean, actuellement possédant, homme plein de prévoyance et d'activité, s'occupant avec grand soin et sollicitude de ces sortes d'œuvres, espérant et croyant fermement que, Dieu l'aidant et lui prêtant vie, le pont sera, par ses soins, facilement reconstruit, que l'hôpital (destiné aux voyageurs) sera rétabli en bon état et que l'église de Sainte-Madeleine (attenant à l'hôpital) sera dignement tenue et gouvernée pour le service divin. Et, par l'intermédiaire de l'église de Saint-Apollinaire, nous avons fait la même concession à l'abbaye de Saint-Tiers de Saou (de qui le prieuré de Saint-Apollinaire dépendait) (5), nous réservant, toutefois, la redevance établie lors de la consécration de l'église, c'est-à-dire deux livres de poivre et deux livres de cire à payer chaque année à nous et à nos successeurs, sauf aussi l'obéissance et le respect dus à l'évêque de Riez, non moins que le droit de visite. Nous avons fait cette concession ou donation, ajoute l'évêque, en vertu de notre autorité épiscopale, ce pays étant situé dans le diocèse de Riez, et par l'autorité du seigneur Pape, dont je suis le légat apostolique dans les provinces ecclésiastiques d'Embrun, d'Aix, d'Arles, de Vienne et d'Auch. Fait à Moustiers, l'an de l'Incarnation de Notre Seigneur 1210 ; témoins : Blacas, Pons, Salvan, Hugues, Tassil, Raymond, etc., etc. (6). »
2. C'est par œuvre du pont et non par ouvrage matériel du pont qu'il convient de traduire le (opus pontis) de la charte.
3. .... Illi, ut ita dicam, spadati.
— La milice des Spades, ou les chevaliers porte-glaives, ordre de chevalerie confirmé, en 1204, par Innocent III et qui, en 1236, s'unit à l'Ordre Teutonique. 4. Pontiers ou Hospitaliers-Pontifes, fondés vers la fin du XIIe siècle par saint Bénézet, pour construire des ponts et recevoir les voyageurs dans les hôpitaux. Ducange appelle les Pontiers exactores tributi Pontagii vel qui tenent terras et postessiones pontis.
5. Abbatie Sancti Tirsi Saouensi.
— Saou, canton sud de Crest (Drôme), 834 habitants, possède encore de magnifiques ruines de l'abbaye de Saint-Tiers.
6. Archives des Bouches-du-Rhône, H, 850, liasse.


C'est donc le prieur Jean de Saint-Apollinaire qui est chargé de reconstruire le pont d'Aiguines : et, pour faire face aux dépenses que ces travaux occasionneront, il aura les revenus d'Aiguines qui lui sont concédés par l'évêque de Riez, Hugues, lequel joua un rôle si important dans les événements politiques et religieux de cette époque, fut le guide et le conseiller de Simon de Montfort et l'orateur le plus ardent de la croisade contre les Albigeois.

Puisque l'occasion s'en présente, rectifions, en passant, les assertions de Fisquet, disant que Hugues fit faire le pont d'Aiguines par les Frères Hospitaliers (7), et celles de Feraud (8), disant que les travaux furent confiés aux Frères Pontistes. Le prieur Jean n'était ni Frère Pontiste, ni Frère Hospitalier, mais bien Moine Augustin de l'abbaye de Saint-Tiers de Saou, de qui dépendait alors le prieuré de Saint-Apollinaire où il était préposé. Voilà pourquoi le donateur énonce qu'il fait la donation d'Aiguines immédiatement à Saint-Apollinaire et immédiatement à l'abbaye de Saint-Tiers de Saou. Il n'entre pas dans notre cadre de suivre les travaux de construction, ni de supputer les revenus que pouvait produire le pays d'Aiguines. Nous reprenons le cours de notre récit.
7. France pontificale, Fisquet, diocèse de Riez, page 337.
8. Histoire de lu ville de Riez Feraud, page 82.


Certains habitants de Puimichel avaient fait des donations immobilières à l'hôpital de Puimoisson (9). Le seigneur de ce pays, Raymond de Puimichel, sous le prétexte que ces biens, situés dans sa juridiction seigneuriale, dépendaient de sa directe, voulut continuer d'y exercer ses droits. Une sentence arbitrale intervint qui adjugea purement et simplement ces biens au commandeur et, de plus, confirma en sa faveur toutes les acquisitions qu'il pourra faire à l'avenir à Puimichel, nonobstant qu'elles relèvent dudit seigneur (1220). A l'égard du prieur, qui avait joint ses réclamations à celles de son seigneur, il fut décidé qu'il prendrait la troisième partie des legs faits au commandeur par les habitants de Puimichel qui éliraient leur sépulture dans le cimetière de la maison de l'hôpital, et qu'il ne percevrait pas de dîme sur les terres relevant de la commanderie.
En même temps qu'il voyait ses domaines s'élargir, l'hôpital de Puimoisson, qui avait à sa tête Isnard de Saint-Vincent, voyait aussi ses rangs se serrer. Des Frères servants d'armes, des donats, des chapelains sollicitaient l'honneur d'être admis dans l'ordre.
9. Bertrand Pluine et Raymond de Pierrerue avaient, en effet, donné des biens situés à Saint-Etienne de la Brègue, où se trouvait l'hospitium (hospitalet) dépendant de la commanderie. Ces biens s'étendaient du chemin de la Brègue aux champs de Calvaron, au plantier de l'hôpital, au champ de Marc Malamosque et au moustier (mosterium) de l'hôpital.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 865.


Suivant l'exemple de son père, Cordel de Brunet, fils de Cordel, qui avait été reçu en 1194, vint, en 1230, grossir le nombre des chevaliers de notre commanderie. Il élit donc sa sépulture dans le cimetière de Puimoisson, promet son cheval, son armure, fait promesse de stabilité entre les mains du commandeur, Isnard de Saint-Vincent, qui le reçoit dans l'Ordre, et, suivant l'usage, il apporte une sorte de dot à l'hôpital. Voici en quoi elle consistait : il confirme la donation de son père, concède le droit de dépaissance et de lignage dans toute l'étendue du terroir de Brunet et donne le bois et le défend contigu au défend des Gilberts. L'acte fut passé dans le bois de la Robine, en face de Brunet, en présence d'Isnard de Saint-Vincent et d'autres témoins (10).
10. Actum fuit hoc in serro de la Robina in aspectu Bruneti, in presentia et in manu Isnardi de sancto Vincentio preceptoris de sancto Michaele de Podio moissono, fratrie Isnardi de Rosseto, W. Raimundi clerici, G. de Bruneto, Raymundi, Raymundeti, bastardi filii Cordelli et aliorum.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 861.


Mais voici une acquisition qui rend les Hospitaliers absolument maîtres du pays, les, fait seigneurs directs en leur conférant les droits possédés jusque-là par le comte de Provence.
Nous avons dit, plus haut, que Reymond Béranger leur concéda, en 1150 et à titre gracieux, la seigneurie de la villa de Saint-Michel, c'est-à-dire de cette partie du pays qui n'était pas comprise dans la ceinture de murs. Le castrum proprement dit, ou village fermé et fortifié, proprement Puimoisson, relevait encore du domaine comtal et ne reconnaissait pas d'autres seigneurs que les comtes de Provence. Le grand-prieur de Saint-Gilles, Bertrand de Comps, négocia l'achat de cette seigneurie ; et, par acte du 6 des ides de décembre de l'année 1231, Reymond Béranger V, comte de Provence, lui vendit tous les droits, la seigneurie, la juridiction, en un mot tout ce qu'il avait dans le village fermé de Puimoisson, pour la somme de dix mille sous raymondins (11).
11. ... Omnia jura que nobis competunt vel competere possunt aliqua ratione vel jure vel visa sunt competere... in Castro sancti Michaelis de Podio moyson et in pertinentiis et tenemento ejusdem castri et omnem rationem et omnem et seynoriam et omnem juridictionem quant habemus et visi sumus habere sive sint in cavalcatis sive in albergin, sive in quistis, etc., etc. L'acte porte quittance.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 825.


C'est seulement à partir de ce jour que Puimoisson, ne relevant plus du domaine comtal, les Hospitaliers furent véritablement maîtres et seigneurs directs du pays, et quant au spirituel et quant au temporel, administrant la paroisse, possédant la majeure directe, la haute et basse justice, percevant les revenus ecclésiastiques et les droits seigneuriaux.

Ces droits nouveaux imposaient des obligations nouvelles. Devenus seigneurs temporels et souverains du pays, les Hospitaliers eurent le devoir de protéger et de défendre ses habitants devenus leurs ouailles et leurs vassaux. Le pacte féodal le demandait ; l'obligation de pourvoir aussi à sa propre défense et de se garantir contre les incursions des seigneurs voisins, en ces temps de guerres féodales, l'importance que prenait chaque jour la commanderie par l'adjonction de nouveaux membres, les décidèrent à quitter la villa Saint-Michel et à s'établir au plus haut point du plateau, pour dominer les habitations et protéger plus efficacement les vassaux. C'est alors que fut construit ce château monumental, aux proportions grandioses, à l'aspect sévère, dont les huit tours de seize mètres de hauteur, reliées entre elles par une ceinture de créneaux, dominaient au loin toute la région. Ce monument servait en même temps de palais au commandeur, de couvent aux religieux et d'hôpital pour les pauvres. Construit en pierres de taille au dedans et au dehors, visiblement en vue de la défense, il ne prenait jour qu'à l'intérieur, dans une cour, au milieu de laquelle fut creusé un puits, et présentait plutôt l'aspect d'une formidable forteresse que d'un palais (12).
12. Ce monument portait le nom de « Palais du commandeur » Nous en ferons la description dans la troisième partie de cet ouvrage, en racontant comment il fut détruit.

Naturellement, à côté du château fut bâtie l'église qui lui était contiguë et dont les murs, au couchant, étaient mitoyens. Le style ogival la fait bien remonter au XIIIe siècle. Elle devint bientôt paroissiale et prit le titre d'église de Saint-Michel que portait la première église cédée aux Hospitaliers, titre qu'elle a gardé jusqu'à nos jours.

Une fois la villa Saint-Michel abandonnée des Hospitaliers et l'église laissée sans culte, le besoin de se rapprocher de la nouvelle église, de se mettre à l'abri des surprises derrière les murs d'enceinte et à l'ombre du château féodal, et déserter peu à peu la partie basse du pays ; des habitations se construisirent plus pressées à l'intérieur, chacun voulant pourvoir à sa sûreté, et bientôt la villa Saint-Michel, abandonnée de ses derniers habitants qui étaient venus se grouper dans l'enceinte du bourg, ne fut plus qu'à l'état de ruine ; elle est à peine aujourd'hui à l'état de souvenir qui va se perdant peu à peu dans le lointain des âges.

Bien que possédant la majeure directe et la seigneurie dans Puimoisson, les Hospitaliers n'y étaient pas seuls et exclusivement les maîtres. Des coseigneurs, des forains y avaient acquis certains fonds et certains droits, soit à prix d'argent, soit au moyen d'alliances contractées. Ce voisinage les gênait et nuisait au besoin de domination absolue, au désir de la possession exclusive. D'autre part, ces coseigneurs n'étaient pas sans redouter la puissance de l'ordre, et le prestige d'une puissante commanderie, admirablement organisée, dominant le pays dans lequel ils possédaient des droits, ne leur laissait guère l'espoir d'en tirer parti, ni de les faire prévaloir. Guillaume Verre, qui venait d'entrer en possession de la commanderie, entreprit de se débarrasser de tous ceux qui pouvaient gêner l'exercice de sa puissance.

Blacas, seigneur d'Aups, et Laure de Castellane, sa femme, possédaient des droits et des terres à Puimoisson. Il sut habilement les amener à lui vendre tout l'afar qu'ils possédaient dans le village, les terres qu'ils tenaient à Saint-Michel et généralement toutes leurs possessions dans les deux terroirs. L'acte fut passé au château d'Aups, dans la maison de Raymond, en présence de Guillaume Verre, commandeur (1231). Il serait difficile de déterminer quels étaient les domaines qui composaient cette vente ; on peut au moins conjecturer qu'ils avaient une grande importance, puisque les donateurs reconnaissent avoir reçu 25 mille sous par libéralité (13). Cette libéralité devait les engager plus tard à vendre leurs droits seigneuriaux qu'ils s'étaient réservés.
13. Etait-ce une vente ? Etait-ce un don ? L'acte porte bien Donamus, mais ces 25 mille sous donnés par libéralité et acceptés par les donateurs ne sont-ils pas le prix même de la vente, un peu déguisé ? Voici l'extrait de cette charte : .... Donamus... totum affare de Castro Podii moisoni et totum affare sancii Michaelis et suis pértinentiis videlicet totum quod in dictis locis habemus ... et corumdem territoriis.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 825.
— On voit bien ici et clairement énoncée la distinction des deux lieux et des deux territoires.


L'année suivante, c'est Guillaume de Moustiers et Guillaumet, son fils, qui donnent au commandeur les domaines et les censes qu'ils possèdent à Puimoisson, par un acte passé en mars 1232, en présence de Guillaume Verre, commandeur, de Jean, chapelain, d'Elie, sacristain de l'église de Saint-Michel, de Jean Chardousse, etc. (14).
14. — Archives des Bouches-du-Rhône, H, 825.

En même temps (ides de mars 1232), Cordel, seigneur de Brunet, dont le père et le frère étaient chevaliers de l'Ordre, céda purement et simplement, par donation entre vifs, le défend de la Silve, qui, depuis quelque temps, était un sujet de litige entre l'Hôpital et le seigneur de Brunet. Ce défend, qui comprenait des bois d'une vaste étendue, des terres cultivées, des pâturages, un droit de chasse, etc., était situé entre le château de Brunet et celui de Puimoisson, séparé de ce dernier par le chemin qui va de Riez à la font de Telle (15). Cette nouvelle donation, qui formait comme un trait d'union entre les terres de Mauroue et celles de Telle, rendait les Hospitaliers maîtres de la plus grande partie du plateau qui s'étend de la vallée du pas de la Val à la vallée d'Asse.
15. .... Demamdum de Selva... quod demandum est inter castrum de Brunet et hospitale Podii moisonis et confrontatur in via que venit a Regio et ducit ad fontem de Tella.... Actum est hoc infra hospitale Podii moisonis super domum peltorie, etc.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 861.


Voici maintenant que Blacas d'Aups et Laure de Castellane, qui, deux ans auparavant, avaient cédé leurs propriétés à l'Ordre, se décident à lui faire cession de tous les droits seigneuriaux qu'ils possèdent à Puimoisson. Guillaume Verre, qui poursuivait son œuvre d'élimination avec une profonde habileté et une constance remarquable, sut amener ces deux personnages non seulement à se démettre en sa faveur des droits seigneuriaux qu'ils possédaient à Puimoisson, mais de ceux qu'ils possédaient à Comps. En effet, par acte du cinq des calendes de septembre 1233, indiction VI, passé à Puimoisson en dehors de la porte de l'Hôpital, près de la muraille de la salle (16), Blacas d'Aups et Laure de Castellane, sa femme, fille de Boniface, vendirent à l'Hôpital tout ce qu'ils possédaient à Puimoisson et au château de Comps, consistant soit en revenus, droits, terres, prés, pâturages, cours d'eaux, etc., pour la somme de 35 mille sous raymondins, l'acte portant quittance (17).
16. Actum est extra portam domus hospitalis, juxta parietem sale dicte domus, Guillelmus Verri, commendator dicti hospitalis.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 825.
17. ... Omnia que habemus uterqve nostrum... in castro sancti Michaelis Podii moissonis inter et extra in ejus territorio et in castro de Comis... tam in honoribus et juribus, terris cultis et incultis pratis, pascuis aquis, cursibus aquarum, etc., etc.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 825.


Jaloux de ramener dans la même main toute la puissance temporelle du pays, Guillaume Verre ne l'était pas moins d'être seul à y exercer la puissance spirituelle. Or, l'église de Saint-Apollinaire échappait encore à sa juridiction. Ce prieuré rural, qui desservait la petite vallée, plus peuplée assurément qu'aujourd'hui, relevait de l'abbaye de Saint-Tiers de Saou, au diocèse de Valence. C'étaient les religieux détachés de cette abbaye qui y tenaient communauté et remplissaient les fonctions pastorales. L'annexion de ce prieuré à la commanderie de Puimoisson présentait de sérieuses difficultés : il était à supposer, en effet, que l'église de Valence n'aliénerait pas volontiers cet oratoire, qui lui rappelait de si précieux souvenirs, dont Frédéric lui avait authentiquement confirmé la possession (1178) et qu'elle tenait de la générosité de Charlemagne. Mais l'ordre des Hospitaliers était en possession de l'église de la Répara, située au diocèse de Valence et non loin de l'abbaye de Saint-Tiers (19). Guillaume Verre vit là l'occasion d'un échange qui pourrait accommoder les Augustins et ferait passer dans sa main l'unique église de son terroir qui ne fut pas sous sa juridiction. Des négociations furent ouvertes entre Bertrand de Comps, grand prieur de Saint-Gilles, et Artaud, abbé de Saou, à la suite desquelles ce dernier céda à Bertrand de Comps, à titre de permutation, l'église de Saint-Apollinaire, avec tout son ameublement (cum omni instructione sua), livres, vases sacrés, ornements, toute la juridiction, les prés, vignes, chasses, en un mot tout ce qui lui appartenait tant au spirituel qu'au temporel ; il reçut en échange l'église de la Répara, avec tous ses droits spirituels (veille des calendes de juillet 1233) (20).
19. La Répara, 116 habitants, canton sud de Crest (Drôme).
20. .... Ecclesiam sancti Apollinaris, cum omni instructione sua, libris, vasis sacris et ornamentis, cum omni jure spirituali ad eam ecclesiam pertinentem pratis, vincis, venationibus..., accipiens a te vice mutua ex causa permutationis ecclesiam de Reparata (La Répara, et non sainte Réparade, comme on l'a écrit par confusion), cum omnibus suis juribus spiritualibus, etc., etc.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 850
— Encore une rectification, en passant. On a traduit suncti Tirsi suouensi par Saint-Cyr sur Saône. C'est faux, et il faut traduire par Saint-Tiers de Saou ; on a de même traduit ecclesiam de Reparata par l'église de Sainte-Réparade, au lieu qu'il faut traduire par l'église de la Répara, etc., etc.


Or, cet échange avait été fait à l'insu de l'évêque de Riez, lequel, en ayant eu connaissance plus tard, refusa de l'approuver, comme ayant été opéré sans son consentement et au mépris de ses droits. Un différend s'éleva donc entre Rostaing de Sabran, d'une part, et les contractants, de l'autre. Il fallut recourir à un arbitrage. L'évêque d'Orange, choisi par les deux parties pour trancher la question, décida que l'évêque de Riez serait tenu d'approuver l'échange opéré, quand même il eût été fait sans son consentement ; que l'église de Saint-Apollinaire demeurerait sous la juridiction de l'évêque de Riez, comme elle l'était quand elle appartenait à l'abbé de Saou ; que la présentation du prieur serait faite par le commandeur et que ce dernier payerait, de ce chef et annuellement, à l'évêque, une pension de douze setiers de froment et de douze autres setiers moitié froment et moitié orge ; moyennant quoi, le différend fut terminé (21).
21. Archives des Bouches-du-Rhône H. 850.
— L'église de Saint-Apollinaire, avec ses dépendances, a appartenu aux Hospitaliers jusqu'à la Révolution.


Ce différend était à peine terminé qu'il en surgissait un autre, et, celui-là, entre Guillaume de Moustiers-Callian et Bertrand de Comps, grand prieur de Saint-Gilles, agissant au nom de l'Hôpital de Puimoisson. Voici en quoi il consistait.
Bertrand de Comps demandait à Guillaume :
1° la moitié d'un afar que dame Beatrix, sa mère, avait à Puimoisson.
2° la moitié de la quarte du château de Puimoisson.
3° une maison appelée Reirecort, touchant l'Hôpital et lui appartenant de droit divin, disait-il.
4° 125 livres raymondins que le Grand-Prieur prétendait avoir été prêtées par l'Hôpital à Pons Rotangs, père dudit Guillaume.
5° 10,000 livres royaux.
6° il se plaignait, enfin, de certains mauvais procédés dont ledit Guillaume se serait rendu coupable vis-à-vis de plusieurs frères dudit Hôpital.

Il fut décidé de part et d'autre qu'on s'en rapporterait à l'arbitrage de Rostaing de Sabran, évêque de Riez, et de Guillaume de Moustiers-Enrevennes, sous peine d'une amende de 200 marcs d'argent fin, à payer par la partie qui contreviendrait à la décision des arbitres, et permission d'occuper tout l'affar que la partie contrevenante posséderait dans la vallée de Puimoisson. Ces précautions préalablement prises, voici ce qui fut décidé par les arbitres : 1° Guillaume de Moustiers-Callian devrait désemparer à l'Hôpital, librement et absolument, pour la moitié de l'affar demandée par le prieur, la Condamine du col Alpérier, confrontant ce col et la terre d'Augier Verre ; une bande de terrain (uno faïsso) au quartier des Combes, attenante à la Condamine dudit Hôpital ; de plus, les Pourrières avec leurs fiefs, Bertrand Fauchier, Pierre Fauchier, les Mouzis, tous avec leurs fiefs. Il fut convenu qu'à l'avenir ledit Guillaume ne pourrait ni ne devrait rien exiger, ni de droit, ni de fait, des dénommés ci-dessus, qui devenaient hommes du commandeur.

2° Guillaume devrait désemparer librement et absolument à l'Hôpital la moitié de la quarte du château de Puimoisson et de son territoire, dans laquelle moitié sont contenus les Oliviers avec leur fief, les Chautier (Eyssautier ?) avec leur fief, les Tancols et les Sauvaires, tous avec leurs fiefs. Il restituerait également la maison de Reirecort, qui confrontait l'Hôpital. Cet acte fut passé en partie dans l'église de Saint-Michel, en partie en dehors de la porte de l'Hôpital, près du mur de la salle, le 4 des calendes de septembre 1233, indict. VII (22).
22. Archives des Bouches-du-Rhône, H, 826.

Cet acte projette un jour intéressant sur l'état social du pays vers le milieu du XIIIe siècle. Il nous montre, en effet, certaines familles, dont le nom, du reste, s'est conservé jusqu'à nos jours, en possession de métairies, sortes de petits fiefs roturiers qu'elles exploitent sous la suzeraineté de quelque seigneur auquel elles prêtent hommage et payent redevance (23). Sans doute, primitivement, ceux qui possédaient des fiefs s'intitulèrent gentilshommes, furent réputés seuls nobles et obtinrent que les fiefs ne seraient jamais possédés par des roturiers. Mais la nécessité où furent beaucoup de gentilshommes de vendre leurs fiefs pour les voyages de Terre-Sainte fournit l'occasion aux roturiers de pouvoir, à leur tour, posséder des fiefs. Les papes, du reste, qui sollicitaient les croisades, obtinrent le consentement des rois en leur faveur. C'est ainsi que, bien avant que Philippe le Hardi eût donné aux roturiers permission de posséder fiefs, en payant une certaine redevance (1275), nous avions, à Puimoisson, des fiefs roturiers, sortes de bastides, de fermes d'exploitation de peu d'importance si l'on veut, mais possédés en propre comme domaine privé (cum suis casamentis), exploités par les propriétaires qui en jouissaient, moyennant une redevance payée au seigneur direct, équivalant du plus au moins à l'imposition foncière payée aujourd'hui à l'Etat.
23. C'est ainsi qu'il faut traduire cum suis casamentis, mention qui suit chaque nom de famille cité dans l'acte. Ducange : Cusamentum : feudum quod a casa dominica pendet.

Revenons maintenant à la sentence arbitrale. Il ne paraît pas qu'elle ait indisposé Guillaume de Moustiers contre l'Ordre, bien qu'elle n'eut pas été rendue en sa faveur. Son testament, écrit peu de temps après, nous apprend que ce riche seigneur laissa à l'Hôpital de Jérusalem et à celui de Puimoisson un legs de 1,000 sous raymondins à chacun et institua même le commandeur son exécuteur testamentaire, à défaut et en empêchement de l'évêque de Riez.
Ici, se présente une longue série d'achats et de donations que nous ne pouvons qu'énumérer rapidement.
En 1235, Bertrand Christol et ses frères vendent à Guillaume Verre, commandeur, le pré qu'ils possèdent dans la vallée de Saint-Apollinaire (24).
24. Archives des Bouches-du-Rhône, H, 852.
La même année, Guillaume de Moustiers, seigneur d'Aiguines, lui donne le droit de dépaissance à Aiguines, tant en hiver qu'en été, avec permission aux bergers d'y couper du bois (25).
25. Archives des Bouches-du-Rhône, H, 855.


De son côté, Olivier de Saint-Jurs lui concède le même droit dans toutes les terres relevant de sa directe. Bertrand et Boniface de Blacas, fils de Guillaume, conjointement avec Laure, leur mère, lui concèdent de pareils droits dans toutes leurs terres sises à Aups, Moissac, Tourtour, Fabrègues, Fos-Amphoux, et Cordel, fils de Béatrix, lui renouvelle la même faveur pour tout le terroir de Brunet.
Enfin, en 1239, Franc de Moustiers lui donne tout l'affar ou lavor qu'il possède dans la vallée de Saint-Apollinaire ; Raimbaud de Moustiers lui vend pour 1,100 sous le grand afar qu'il possède au même endroit (26), et Raimbaud, archidiacre de Riez, de concert avec sa sœur Rexende, lui désempare, pour la somme de 8 livres dix sols tournois, un autre afar qu'il possède dans la même vallée.
26. Archives des Bouches-du-Rhône, H, H. 852.
— Affar au terroir castri sancti Apollinaris et in tenemento cjus. La mention de castrum attribuée à saint Apollinaire ne caisse pas que d'être curieuse ; elle prouve bien que l'église et le couvent étaient fortifiés et ceints de murs.
— Un mas e un affar ou un mas e un lovor (lavor étant synonyme d'affar)
— On peut aussi dire un mas de ...X... séterés
— Mas et affar se confondent
— Une partie des mas sont détruits. Des propriétaires vendent les pierres, les tuiles, les fustes et le sable de mas détruits 27. Des mas sont vendus avec les ruines de leurs mas : ...cum lapidibus, fustibus et tegulis mansi dirruti ejusdem affaris...


En terminant ce chapitre, mentionnons un accord intervenu entre Foulque de Caille, évêque de Riez, et son chapitre, d'une part, et Feraud de Barras, qui venait de succéder à Guillaume Verre, accord qui termine certaines difficultés matérielles concernant la perception des droits de l'Eglise de Riez. Il fut convenu que le commandeur payerait annuellement à l'évêque de Riez 2 sous 8 deniers melgoriens pour sa quarte épiscopale (27), qu'il nourrirait et défrayerait les hommes et bêtes qu'il enverrait à Puimoisson pour chercher les censes en grains qui lui étaient dues, ainsi que cela se faisait dans toute l'étendue du diocèse (28).
27. La quarte épiscopale était une redevance franche due aux évêques par les prieurs décimateurs, en considération de leurs fonctions épiscopales. Elle était prise sur le produit de la dîme.
28. ... Que veniedant querere censum quem habent in ecclesia Podii motesoni et sancti Apoillinaris supradicta in expensis providerent ecclesie supra dicte ..., super eo vero que superius continetur de bestiis et hominibus supra dictis de victu et potu illud intelligatur specialiter que alie ecclesie diocesis faciunt nunciis et bestiis que et qui veniunt pro cerre (petit c pour grand q) censum bladi deportando, etc.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 832.


Par le même acte, le commandeur remet et désempare à l'évêque 10 stérées de la condamine ayant appartenu à Espase, seigneur de Riez, à prendre au plus proche de la bastide de Mauroue (Bastida de Maurosa). Le 9 des calendes de septembre 1246.

CHAPITRE III
— Défense d'aliéner les biens de la commanderie (1251).
— Donations.
— Vente d'Isnard de Moustiers au commandeur (1265).
— Faculté de tester accordée aux habitants (1270).
— Saisie de bétail et sentence arbitrale (1272).
— Bornage des dîmeries de Saint-Apollinaire (1276).
— Délimitation des dîmeries avec Riez (1286).
— Sommation au clavaire de Digne (1289).
— Sentence arbitrale entre le commandeur Isnard de Flayosc et Réforciat de Castellane (1297).
— Durand de Mende.

On a pu voir, dans les deux chapitres qui précèdent, les accroissements rapides de la puissance de notre commanderie. Etabli dans le pays depuis à peine un siècle, l'Ordre y était successivement devenu, dans la personne du titulaire, seigneur spirituel et seigneur temporel, recevant hommage des rares coseigneurs qui y possédaient encore quelque lambeau de juridiction, y exerçant la justice, percevant les dîmes et jouissant de tous les privilèges seigneuriaux. Ses possessions s'étendaient tous les jours plus au loin. Les vastes domaines de Mauroue, de Telle, de la Silve, les condamines, la vallée de Saint-Apollinaire, en majeure partie du moins, lui appartenaient. Ses nombreux troupeaux, disséminés sur une étendue immense, pouvaient librement chercher au loin la nourriture que le terroir du pays eut été insuffisant à leur fournir. Saint-Jurs, Brunet, Bras, Aiguines, Moissac, Tourtour, Fabrègues, Fos-Amphoux, Puimichel, etc., etc., lui fournissaient d'abondants pâturages et des redevances en espèces ; il était devenu, en un mot, une véritable puissance chez nous.

Cet accroissement prodigieux s'explique facilement. Les générosités dont la commanderie naissante fut l'objet de la part des évêques, des princes, des seigneurs et de quelques puissants personnages de la région, n'avaient d'autre but, dans l'intention des donateurs, que de contribuer à la délivrance de la Terre-Sainte et de mettre l'Ordre en mesure de faire face à ses nobles obligations, car on n'ignore pas que les Hospitaliers formaient comme une croisade permanente.
Il importait donc essentiellement au succès de l'œuvre qu'aucun des privilèges concédés ne fût aliéné, qu'aucun de ses domaines offerts par la pieuse générosité des fidèles ne fut réalisé, et que des revenus assurés et permanents permissent aux valeureux champions de la guerre sainte de continuer leur croisade sans interruption.

C'est dans ce but que le pape Innocent IV, par une bulle datée de Lyon, du 11 des calendes de mars 1261, adressée au Grand-Maître et à tous les Frères de l'Ordre, leur défendit expressément, sous peine de nullité et avec menace de la colère du Tout-Puissant et des saints Apôtres, de vendre, distraire, louer ou aliéner, de n'importe quelle façon et sans le consentement du souverain pontife, les terres, attenances, droits des commanderies de Manosque, de Puimoisson de Lardiers de Tallard, de Pui-Lautier, etc., « .... Ces richesses que la pieuse dévotion des fidèles a données pour la défense de la Terre Sainte, ne devant en aucune façon être affectées à d'autres usages » (1).
1. .... Veritate presentium inhibemus ne de Aurafice, Manuascu Podiomoyssono, Larderis, etc..., quas terras aut villas aut eorum aliquid quisquam vestrum vendere, diatrahere, locare, vel alienare, inconsulto romano pontifice, quoquo modo presumat, quod si factum fuerit contra presemptum nullius esse decernimus firmitatis cum ea quam (que) in defencione terre sancte pia sunt fidelium devotione concessa non sunt in usus alios transferenda.

Mais la commanderie de Puimoisson, loin d'être tentée de vendre ou d'aliéner, n'avait pas fini encore d'acquérir ; au lieu de songer à restreindre les limites de ses domaines, elle s'occupait incessamment de les étendre et de les élargir.
Le 4 des calendes de janvier 1259, Thomas, fils de Feraud, donne à l'Hôpital les divers droits qu'il tenait de ses ascendants et de son oncle, Guillaume d'Aiglun, sur des biens situés à Puimoisson (2).
2. C'est Béranger Monge, commandeur de Manosque, qui reçoit le don au nom de l'Hôpital de Puimoisson. Au nombre des témoins, figure Martin, clerc de saint Apollinaire.
— Archive des Bouches-du-Rhône, H, 827.


Boniface Salvage vend à Feraud de Barras, grand-prieur de Saint-Gilles, un afar situé dans la vallée de Saint-Apollinaire, et, la même année, 1264, Isnard des Crottes lui vend, pour une somme insignifiante, trois terres situées au même quartier (3).
3 — Archive des Bouches-du-Rhône, H, 852.

Restait encore un seigneur feudataire qui possédait à Puimoisson et à Saint-Apollinaire des droits et des biens sous la directe du commandeur. C'était Isnard de Moustiers, seigneur de Callian. Arrivé à sa majorité, il eut hâte, comme l'avait fait d'ailleurs Guillaume de Moustiers, son père, de sortir de la suzeraineté de l'Ordre en lui vendant tous les droits qu'il possédait actuellement et aurait pu posséder à l'avenir dans le castrum de Puimoisson et dans le terroir de Saint-Apollinaire, consistant soit en hommes, soit en juridiction, tasques, usages, quistes, cens, services, quartons de vignes, corvées personnelles et corvées de labour, défends, bois, chasses, prés, pâturages, marais, cours d'eaux, et tout ce qu'il possède sous la directe de l'Ordre, pour la somme de 14,000 sous tournois et 50 livres provençales. Cette somme fut payée en espèces par Féraud de Barras, grand-prieur de Saint-Gilles, achetant au nom de la maison de l'Hôpital de Puimoisson (1265), 18 des calendes de septembre (4).
4. L'acte fut passé à l'Hôpital d'Aix, en présence de Béranger Monge, commandeur de Manosque et d'Aix. Le nom du commandeur de Puimoisson ne paraît pas.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 827.
— Le sol tournois valant 1 franc 25 centimes, et la livre provençale 20 francs, le prix de la vente faite par le seigneur de Callian s'élevait à la somme de 18,500 francs. (Callian, Var, 83)


En parcourant la série des donations qui précèdent, en assistant au développement progressif et rapide de la commanderie, le lecteur se dit à lui-même qu'il y avait à Puimoisson d'autres habitants que les Hospitaliers et voudrait connaître quelle était la situation sociale de ces habitants à l'époque dont nous nous occupons. Il serait difficile de le déterminer avec précision. L'absence du papier (5), la cherté du parchemin, dont l'usage était restreint et qu'on employait seulement pour la rédaction des titres, nous expliquent le manque de documents écrits.
5. Au parchemin trop cher, on substitua plus tard le papier de coton, grossier et filandreux ; le papier de lin n'apparaît que vers les premières années du XIVe siècle, d'après Editions de Laplane, XVI.

Quelques traits de lumière éclairent cependant un peu l'état social de cette époque. Ils nous viennent de quelques rares instruments, et ils sont trop précieux pour que nous ne les recueillions pas avec empressement. Une charte de 1233, citée plus haut, nous a permis de constater l'existence de certaines familles feudataires, jouissant de la franchise et possédant en propre des domaines qu'elles exploitaient sous la directe du seigneur. Un autre document, postérieur de quelques années et d'une grande importance, nous montre l'organisation de la commune représentée par des syndics et déjà assez fortement constituée pour faire reconnaître ses franchises et traiter presque d'égal à égal avec le commandeur.

La faculté de tester ou d'aliéner les biens par vente ou donations entre vifs avait été jusqu'alors limitée à une certaine catégorie de personnes et ne pouvait, en aucun cas, s'exercer sans la permission préalable du commandeur. Ces conditions gênaient les habitants de Puimoisson, qui devenaient tous les jours plus jaloux de leur liberté. Il fut résolu, dans le conseil de la communauté, qu'on tenterait de se soustraire à cette servitude. Les syndics furent chargés de faire connaître au chapitre provincial ce vœu des habitants et d'en solliciter la réalisation. Le vénérable chapitre provincial de Saint-Gilles, séant à Arles, accueillit favorablement cette proposition, et, par décision du 6 des calendes de juin 1270, il les déchargea de cette servitude, sous les conditions suivantes :
1° Les habitants de Puimoisson ne pourront disposer de leurs biens qu'en faveur de leurs enfants légitimes et, à défaut, en faveur de leurs parents jusqu'au quatrième degré. Il leur est accordé la succession des parents qui mourraient ab intestat.
2° Les habitants sont également autorisés à vendre leurs biens à des étrangers, à la condition toutefois que ces derniers éliront domicile dans le territoire de Puimoisson et se soumettront à la juridiction du commandeur, sans quoi la vente serait frappée de nullité. En outre, le commandeur percevra sur le tous les droits de lods et de trézain et conservera son droit de prélation.
3° Il est aussi établi que, au cas où quelque habitant s'établirait hors du territoire, il serait permis au commandeur de se mettre en possession des biens de l'émigrant (6).
6. Ces doux articles avaient pour but de prévoir le déguerpissement, la dépopulation du lieu et la substitution des forains aux indigènes dans la possession des terres. Si ces dispositions étaient encore en vigueur, nous ne verrions pas nos meilleurs et plus beaux domaines possédés par des étrangers, et le produit de nos terres emporté et consommé en dehors du pays et sans bénéfice pour lui.

En considération de la concession des privilèges ci-dessus, les habitants donnent au commandeur celui de vendre son vin pendant trente jours consécutifs, et cela chaque année, sans qu'ils puissent vendre le leur pendant ce temps (7).
7. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 836.

Ces concessions, nous avons à peine besoin de le faire observer, marquaient un grand pas dans la voie de l'affranchissement ; comme aussi, cet échange de privilèges prouve que la commune n'était pas à la merci de son seigneur, mais que ce dernier devait compter avec elle, malgré la prépondérance que lui donnait l'organisation de l'état social.

Toutefois, la puissance un peu envahissante de la commanderie ne laissait pas que d'exciter la jalousie des seigneurs voisins. Le mouvement de générosité pieuse qui l'avait fait si forte se ralentissait, et le commandeur voyait avec peine les voisins lui contester des droits légitimement acquis et le troubler dans leur usage.

Raybaud de Saint-Maxime, seigneur de Brunet (Alpes-de-Haute-Provence, 04), et sa femme, Béatrix, lui contestèrent le droit de pâturage dans l'étendue de leur seigneurie, et firent saisir les troupeaux qui y paissaient. La concession de ce droit, ainsi que de celui de lignerage (pratique de la coupe et ramassage de bois), avait été faite dans les formes voulues par Gordel de Brunet fils, entre les mains d'isnard de Saint-Vincent, en 1230 (8).
8..... Dono et concedo..., pascua et in toto tellemento Bruneti recollectionem lignorum ad opus ospitalariorum, H, 861.

Il fallut néanmoins recourir à un arbitrage. Jean Silvestre, official d'Aix, choisi par les parties, maintint purement et simplement le commandeur dans le droit de pâturage et de lignerage au terroir de Brunet (1272) (9).
9. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 856.
— Acte dans la salle épiscopale de Riez ; témoins: F., évêque do Riez ; Pierre Giraud, prévôt ; Raymond Tapol, official et chanoine de Riez, etc.; 9 juillet 1272.


Ce différend à peine terminé, voici qu'il en surgit un autre. Celui-là a trait au prélèvement du droit de dîme sur les terres qui, quoique relevant du domaine de Saint-Apollinaire, sont situées dans le terroir de Moustiers. Bérard de Grasse, prieur de Moustiers, réclamait son droit sur ces terres comprises dans sa circonscription paroissiale ; les collecteurs de la commanderie prétendaient que ces terres relevaient de la directe du commandeur et souvent feignaient l'ignorance des limites. De là, des contestations. Pour y mettre fin, on recourut à une délimitation qui se fit en présence de Raymond Tapol, official de Riez, et Martin, frère donat de l'Hôpital de Puimoisson, représentant les deux parties. Il fut décidé que depuis le terme de la Ristole jusqu'au rocher de Baleine et au vallon de Mouresse, droit fil, la dîme appartiendrait à Puimoisson, et que depuis Ginestot, dans le vallon d'En-Val et au-delà, la dime appartiendrait à Moustiers (1270) (10).
10. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 850.

Une difficulté de même nature existait entre le chapitre de Riez et le commandeur. Pour mettre fin aux différends causés par la confusion des droits de dîme, les deux parties, d'un commun accord, donnèrent pouvoir à Guillaume Gallon, prêtre, et à Guillaume Gontard de dresser l'état des propriétés sur lesquelles le prévôt avait seul droit de prendre la dîme et de celles sur lesquelles il la prélevait de moitié avec le commandeur (14 calende juin 1286) (11).
11. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 832.
— Suit une longue énumération des terres, vignes, accompagnée des noms des propriétaires qui devaient acquitter les droits. La contenance des biens est indiquée en stérées ou en omines.


Il n'est pas jusqu'au clavaire de Digne, Jacques Ruffi, qui n'entreprît sur les droits du commandeur. Cet officier de la cour royale exigeait le payement des taxes de la part des habitants de Chénerilles (12), relevant de la directe de la commanderie. Hugues Chardousse, chapelain, fut délégué pour sommer le clavaire (12) de se désister du payement de ces taxes (12). Le différend ne fut porté que par devant Bérenger Gantelmi, juge de Digne.
12. Alpes-de-Haute-Provence, 04
12. Officier municipal chargé de la garde et de la gestion de la caisse publique
12. Acte à Digne dans la maison d'Ampboux-Mercadier (19 novembre 1289).
— Archive des Bouches-du-Rhône, H, 859.


Mais c'est au sénéchal de Provence que dut s'adresser le commandeur pour faire cesser les empiètements du juge de Moustiers, qui prétendait étendre sa juridiction sur les habitants de la vallée de Saint-Apollinaire. Cette confusion des pouvoirs venait de ce que la délimitation du terroir des deux communes n'était pas encore faite à cet endroit. Le commandeur eut gain de cause, car le sénéchal adressa un mandement enjoignant au juge de Moustiers de ne rien entreprendre sur la juridiction des habitants de la vallée jusqu'après la délimitation du terroir (1293) (13).
13. Archive des Bouches-du-Rhône H, 852.

Mais la série des difficultés n'était pas close, et la paisible possession des biens et privilèges devait coûter plus de peine que n'en avait coûtée l'acquisition. Notre commanderie possédait, comme on l'a vu plus haut, des terres et des droits aux lieux de Fos-Amphoux (Var, 83) et de Saint-Jean-de-Bresc (Var, 83). Comme les terroirs n'étaient pas délimités, Réforciat de Castellane, seigneur de Salernes, prétendait y exercer la haute, moyenne et basse juridiction. De son côté, le commandeur, se croyait fonder à revendiquer seul la majeure directe sur ces lieux. Suivant l'usage du temps, on s'en remit de part et d'autre à un arbitrage. Me Geoffroy du Fort, choisi par les parties, décida :
1° que Réforciat de Castellane aurait le droit de ban et la juridiction totale sur les vassaux habitant Fos-Amphoux.
2° que le commandeur aurait le droit de ban, la directe et l'entière juridiction au terroir de Bresc.
3° que le droit de dépaissance du bétail étranger et le droit de leyde sur les marchandises vendues par les étrangers, levé dans les deux localités, appartiendraient moitié au seigneur de Salernes, moitié au commandeur (14).
14. Acte à Draguignan, le 22 septembre 1297.
— Archive des Bouches-du Rhône, H, 864.


Le pilori fut dressé à Bresc, aux armes de l'Ordre, comme signe de haute juridiction. Les habitants, passant ainsi sous la directe du commandeur, sollicitèrent de l'Ordre la faveur dont jouissaient depuis trente ans les habitants de Puimoisson, de disposer de leurs biens suivant leur volonté ; mais ce ne fut qu'en 1331 qu'ils obtin-rent ce privilège.
En 1286, Jean de Villaret, grand-maître de l'Hôpital de Jérusalem, vint visiter Puimoisson, et c'est au cours de cette visite et dans le château de la commanderie qu'il confirma, par une charte célèbre, les libertés et privilèges de la ville de Manosque (15).
15. .... Datum in domo nostra de Podio moysono, XII. Kalande septembria anno Domini M° VC° octuagesino sexto.

L'ordre chronologique, que nous suivons en écrivant cette histoire, amène sous notre plume la question du lieu d'origine de Durand de Mende, surnommé le Père de la Pratique, un des canonistes français les plus distingués. Cet homme célèbre, élève d'Henri de Suze, professeur de droit canon à Modène, chapelain du pape Clément IV, légat de Grégoire X au concile de Lyon et finalement évêque de Mende, mourut à Rome, où il avait été délégué pour poursuivre la canonisation du roi Louis IX (1er novembre 1296). Son corps fut enseveli dans l'église de la Minerve.

Le point intéressant pour nous serait de savoir si la tradition qui fait naître à Puimoisson ce personnage célèbre repose sur de solides fondements. Parmi les biographes qui le mentionnent, les uns le font naître à Puimoisson (Hérault), d'autres lui assignent comme lieu d'origine Puimoisson (Basses-Alpes). Qui a raison ? Ceux qui le font naître à Puimoisson invoquent la tradition populaire, montrent la maison où étaient les Durand (qui ne sont plus) et allèguent un texte ainsi conçu : Guilhermus Durand natus Puimissone in Gallia Narbonensi. Nous pourrions alléguer qu'à Puimoisson aussi la tradition populaire fait naître Durand, qu'on y montre également la maison où il serait né, que plusieurs familles du nom de Durand, fort anciennes du reste, vivent encore dans le pays et dans les lieux circonvoisins. Nous aimons mieux convenir que ce ne sont pas là des raisons péremptoires, propres à faire triompher ni l'une ni l'autre de ces deux thèses. Toutefois, et pour ne rien omettre de ce qui pourrait éclairer l'opinion du lecteur, nous dirons que Feller, Nostradamus, Bouche surtout, personnalité éminemment provençale et dont le père était originaire de notre pays, berceau de sa famille, le font naître à Puimoisson. Ce dernier base son jugement sur la qualification de Provençal que se donne à lui-même Durand de Mende, au livre IV de Feudis (16), et sur le mot de Provence désigné comme pays d'origine du Speculator dans son épitaphe, qu'on voit encore dans l'église de la Minerve et qui, d'après cet historien digne de foi, résout le doute en faveur de Puimoisson.
16. Nos provinciales nobiles feudatorios, vassalos vero plebeios nostros vulgariter appellamus, loc. cit.

« Quem memori laude genuit Provincia dignum
Et dedit a Podio Missone diœcesis ilium (17),
Et Romam rediit domini sub mille trecentis
Quatuor amotis annis, tumulante Minerva,
Surripit hunc festiva dies et prima novembris. »
17. Nous ne pouvons-nous prononcer sur la traduction qu'il convient de donner à « Podio missone », mais nous devons à la vérité de dire que, dans aucun instrument des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, nous n'avons vu écrit de cette manière le nom de notre pays. D'autre part, la confusion des noms de ces deux pays est chose commune. Dans ses lettres patentes, datées de Lyon (juin 1522) et adressées au commandeur Jacques de Montlor, François Ier écrit Puimisson pour Puimoisson ; des erreurs de ce genre se commettent encore fréquemment de nos jours.

CHAPITRE IV
Démêlés concernant la juridiction (1300-1306).
— Donation par Charles II du merum imperium (1307).
— Péage de Gréoux-les-Bains (1308).
— Sentence arbitrale entre Elzéar de Sabran et le commandeur (1312).
— Nomination d'Elyon de Villeneuve (1314).
— Subsides.
— Foire accordée à Puimoisson (1321).
— Transactions et démêlés au sujet des fours (1327).
— Visite priorale 1338.
— Reconnaissance de Courbon (1354).
— Invasions.
— Affranchissement de l'Hospitalet (1366).
— Permission de nommer des défenseurs (1380).
— Donation (1381).
— Enquête (1384).
— Guerres de Raymond Turenne.
— Rôle de Réforciat d'Agoult, commandeur.
— Passage des reliques de Saint-Honorat à Puimoisson.

Au cours du chapitre précédent, nous avons pu constater que le commandeur était souvent inquiété dans l'exercice de ses droits juridictionnels. Dans le but de prévenir le retour des empiétements que commettaient à son préjudice les juges de Digne et surtout de Moustiers, le commandeur avait sollicité et obtenu du comte de Provence une charte qui confirmait authentiquement tous ses droits, réglait l'étendue de sa juridiction et frappait d'une amende de 25 livres ceux qui y porteraient atteinte.

Malgré ces garanties, le juge de Digne n'avait pas craint de rendre certains jugements contre les vassaux de la commanderie. Isnard de Flayosc porta plainte au juge des secondes appellations de Provence, qui lui accorda des lettres ordonnant de faire croiser les jugements indûment rendus (1300) (1).
1. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 838, liasse.

De son côté, le juge de Moustiers avait fait arrêter, sans lettres réquisitoires et sans permission des officiers de la commanderie, un nommé Pierre Arnoux, coupable de divers délits et maléfices ; de plus, à la requête d'un juif nommé Aquinet, Hugues Rostang, Raymond Sauvaire et autres habitants avaient été assignés à comparaître par devant la cour de Moustiers. Le vice-commandeur, Guillaume d'Amphoux, requit le juge Jean Ardoin de lui remettre le prisonnier (1300), et lui fit connaître qu'il encourait l'amende de 25 livres pour avoir attenté aux droits de la commanderie (1301, 18 décembre) (2).
2. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 838.

A cette intimation, le juge répondit qu'il n'avait point eu dessein de contrevenir aux prescriptions de la transaction, ce qui ne l'empêcha pas de faire proclamer, la même année, son mandement de justice à Puimoisson (ce dont le commandeur fit appel), de juger des femmes qui n'étaient pas ses justiciables et de manifester la prétention de faire faire des criées dans notre pays, au mépris des droits juridictionnels du seigneur du lieu (3).
3. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 839, liasse

Il devenait urgent de mettre un terme à tous ces empiétements et de sauvegarder dans toute leur intégrité les privilèges et les droits de la commanderie. Il fallait aussi enlever à la cour de Moustiers le prétexte de s'immiscer dans les affaires juridictionnelles de Puimoisson, en accordant au juge du pays la juridiction la plus étendue. Foulque de Villaret, grand-maître de l'Ordre, porta sa plainte à Charles II, roi de Jérusalem et de Sicile, comte de Provence et de Forcalquier, qui, par acte donné à Marseille, l'an 1307, 23 octobre, indiction VI, concéda par libéralité et à titre purement gracieux, à Foulque de Villaret et à ses successeurs, le merum imperium dans le château de Puimoisson, juridiction qui avait appartenu jusque-là à la cour royale (4).
4 — Archive des Bouches-du-Rhône H, 839.
— Le merum imperium signifiait haute justice ou juridiction criminelle : le haut justicier avait la connaissance des cas de mort naturelle ou civile, de mutilation et incision des membres ou autres peines corporelles, comme de fouetter, essoriller, écheler, exposer au carcan ou pilori, marquer au fer chaud ; il élevait les fourches patibulaires, avait droit sur les épaves, biens vacants, terres hernies, confiscation des biens d'un condamné à la mort naturelle ou civile ; droit de prééminence à l'église, de faire prier Dieu pour lui au prône, de mettre ces armes et deuil à l'entour de l'église paroissiale, tant en dedans que dehors, etc.
— Voyer Traité des Fiefs IIe partie, page 40.


Le 15 décembre de la même année, frère Bertrand Brude, hospitalier, juge de Puimoisson, se rendit à la cour royale de Moustiers et présenta aux juges Barras, Escoffier et Hugues Turrel le privilège royal, les requérant de le faire publier, de le faire transcrire sur les registres de la cour et de lui délivrer acte du tout, ce qui fut fait par Raymond Orset, notaire, dans la Cour de Moustiers, en présence de Raymond Chardousse, légiste, Jacques Bouisson, notaire, Hugues de Saint-Martin et Hugues Garnier, damoiseaux, etc., etc., le 15 décembre 1307.

Cette même année devait être marquée par un événement important, qui a une petite liaison avec notre pays et dont nous dirons un mot, en passant. On sait qu'après la prise de Saint-Jean-d'Acre, lorsque la Palestine fut définitivement perdue, les chevaliers du Temple se dispersèrent dans leurs commanderies, et le Grand-Maître se retira à Paris, avec ce qui restait des trésors de l'Ordre. A tort ou à raison, les Templiers devinrent bientôt suspects à l'Eglise, aux nobles, au roi. Le peuple ne les aimait pas. Philippe le Bel se crut assez fort pour faire arrêter Jacques Molay, Grand-Maître de l'Ordre (13 octobre 1307). Les Templiers résidant en Provence furent arrêtés et saisis le 24 janvier 1308 et enfermés, vingt-sept à Meyrargues (84), et, vingt-un à Pertuis (84).
La commanderie de Gréoux-les-Bains (04), une des plus importantes de la contrée, n'échappa point à la loi commune. Les Templiers y furent arrêtés, et leurs biens mis sous séquestre.

Comme, en vertu d'une entente préalable entre le pape et le roi, les biens des Templiers situés en Provence devaient être donnés aux Hospitaliers, le commandeur de Puimoisson crut pouvoir faire percevoir à son profit le droit de péage sur les marchandises qui passaient à Gréoux-les-Bains, se substituant ainsi à l'ancien titulaire de cette commanderie. Mais Philippe IV étant revenu sur la parole donnée et voulant s'adjuger la plus grande partie des richesses de l'Ordre, Hugues Turrel, baile de la Cour royale de Moustiers, adressa un mandement à Raymond de Saint-Donat, lui enjoignant de percevoir le péage sur les marchandises à Gréoux-les-Bains, pour le compte de la Cour et non plus pour le compte de la commanderie (20 décembre 1308).

Pierre Fouque, mandataire du commandeur, fit appel de ce mandement par devant le juge des premières appellations de Provence (5). Nous n'avons pu savoir si ce mandement fut maintenu, ou si la commanderie continua de percevoir le droit de péage qu'on essayait de lui ravir (6).
5. Archive des Bouches-du-Rhône H, 840, pièce en mauvais état.
6. Le prieuré de Provence fut créé en 1317. Puimoisson relevait de la métropole d'Aix.


En 1312, intervint une sentence arbitrale entre le commandeur, d'une part, et le procureur d'Elzéar de Sabran, seigneur de Puimichel, et Delphine de Signe, son épouse, par laquelle il fut réglé que les habitants de l'Hospitalet et de Saint-Etienne de la Brègue, possédant biens dans le terroir de Puimichel, payeraient au comte Elzéar la vingtième partie des blés et légumes, hormis ceux qui possédaient des terres relevant de la directe du commandeur.

La commanderie de Puimoisson était vacante. Foulque de Villaret la pourvut d'un nouveau titulaire dans la personne d'Hellion de Villeneuve, un des plus illustres chevaliers de son temps, homme austère, économe des deniers de son Ordre, devenu successivement lieutenant du Grand-Maître, Prieur du prieuré de Provence (7) et toujours jaloux d'augmenter les droits de la religion à la tête de laquelle il fut placé plus tard (1319), pour réparer les désordres qui s'y étaient introduits sous le magistère de Foulque de Villaret.
7. Par lettres données à Marseille, le 4 décembre 1307, le roi Charles II, comte de Provence, avait décidé que, dans le ressort des terres que l'Hôpital tient de la Cour, les premières appellations seraient réservées à la Cour. (Puimoisson, Avignon, Ginasservis (83), etc., etc.)

Nous pensons que, vu la qualité du personnage, on lira volontiers la traduction d'une partie de la lettre qui le met à la tête de notre commanderie ; ce document, d'ailleurs, le seul que nous citions de ce genre, est instructif en plus d'un point.

Frère Foulque de Villaret, par la grâce de Dieu, humble maître de la sainte maison de l'Hôpital da Saint-Jean de Jérusalem et gardien des pauvres du Christ, et nous, Chapitre de la même maison, faisons savoir à tous ceux qui les présentes liront, présents et à venir, que, nous rappelant volontiers de l'obligeante douceur et des agréables services que notre cher frère en Jésus-Christ, Elyon de Villeneuve, nous a rendus à nous, à la Maison, qu'il nous rend assidûment et qu'il pourra nous rendre à l'avenir avec le secours de Dieu ; considérant aussi le mérite de sa grande probité, la gravité de ses mœurs, le commerce agréable de sa vie et les nombreuses qualités dont il a plu à Dieu d'orner sa personne ; voulant, en vue de ses mérites, lui donner un gage de notre libéralité ; dans notre chapitre général de Rhodes, heureusement célébré en 1314, le 3 des nones de novembre, nous avons donné et conféré et, par les présentes, donnons et conférons au susdit frère Elyon, trouvé digne, nos antiques maisons ou bailliages de Puimoisson et de Manosque, de notre prieuré de Saint-Gilles, ainsi que les lieux, possessions, terres, villages, fermes, appartenant en quelque façon que ce soit à nos dites maisons, avec tous les droits, juridictions, attenances, produits, revenus, et pour les cinq années à venir seulement, pour qu'il puisse les posséder, les garder, les régir, les gouverner et, s'il y vit justement et honnêtement, les posséder en toute paix et tranquillité.

Observant néanmoins que ledit frère Elyon devra donner, livrer, céder, payer à notre Ordre, à titre de responsion annuelle (8), le taux établi par le lieutenant nommé par nous dans ces régions, lesquelles responsions nous donnons ordre à notre lieutenant de fixer dans les dites maisons.
8. On appelait responsion une certaine somme d'argent en rapport avec le revenu de la commanderie, somme qui était fixée par le Grand-Prieur de la Langue et que le titulaire devait payer chaque année à l'Ordre. En temps de guerre, le conseil de l'Ordre pouvait élever le taux de ces responsions.

Nous voulons, en outre, et ordonnons que frère Elyon soit soumis à notre lieutenant dans le prieuré de Saint-Gilles, comme à son supérieur, qu'il lui obéisse avec dévouement en toute chose licite et honnête, qu'il le reçoive agréablement lorsqu'il descendra chez lui pour visiter la commanderie, qu'il le traite avec bonté, qu'il pourvoie à ses besoins et à ceux de ses envoyés et de ses familiers, prenne soin de ses chevaux, etc. Qu'appelé par le Grand-Prieur, notre lieutenant, pour tenir chapitre, il se rende, sauf empêchement légitime, qu'il administre, tant au spirituel qu'au temporel, gouverne fidèlement, améliore, soigne et augmente nos susdites maisons, tant dans le chef que dans les membres, etc., etc. (1314, 3 des nones de novembre)

Le premier acte d'administration du nouveau commandeur fut un prêt de 200 livres réforciats (9), qu'il consentit à la Cour royale, à titre de subside, pour les besoins de l'Etat. Le grand sénéchal de Provence dut ordonner aux officiers en exercice sur le territoire de Puimoisson de contraindre les habitants à participer au payement de cette somme, empruntée dans un but d'intérêt public (9).
9. — Archive des Bouches-du-Rhône, H, 840.
Réforciats


Elyon de Villeneuve ne garda pas longtemps la commanderie de Puimoisson ; ses hautes capacités et une réunion heureuse de qualités remarquables devaient, en peu de temps, l'élever aux plus hautes fonctions de l'Ordre. Mais il n'oublia ni Puimoisson, ni ses habitants, et, une fois devenu Grand-Maître de l'Ordre, il témoigna son attachement à notre pays en lui accordant un privilège fort apprécié à cette époque, la tenue d'une foire annuelle qui durerait trois jours, dans la semaine qui précédait la Pentecôte, et la tenue d'un marché tous les mardis de l'année. La bulle portant ce privilège est du 11 mars 1321 (10).
10. — Archive des Bouches-du-Rhône, inventaire Combe.

La constitution originaire du fief donnait au commandeur et par droit commun la banalité des fours. Celui-ci livrait ordinairement à ferme la perception de ces droits ; mais cette perception donnant lieu à de nombreux abus de la part des fourniers, il devint nécessaire de déterminer authentiquement les droits des particuliers et les droits du seigneur. Une transaction intervint donc sur ce sujet, entre le commandeur François de Puyagut et la communauté, représentée par cent trente habitants. Il fut convenu :
1° que le commandeur prendrait un pain sur trente-huit, comme droit de fournage.
2° que les habitants n'auraient aucun droit à payer sur les gâteaux.
3° que, lorsqu'ils feraient cuire dans une même fournée du pain blanc et du pain bis, le droit de fournage ne serait acquitté qu'en pain bis, d'après la proportion indiquée ci-dessus, sous la réserve que, dans les quinzaines de Noël, de Pâques et de Pentecôte, le fournage se payerait en pain blanc sur toute la fournée.
4° que les fourniers établis par le commandeur n'auraient qu'à s'occuper de la cuisson du pain, les habitants étant tenus de pétrir eux-mêmes, de fournir le bois nécessaire pour chauffer le four et de transporter le pain, avant et après la mise au four (19 avril 1327) (11).
11. Acte reçu par Guillaume Jacques, notaire, et ratifié par le Grand Maître Elyon de Villeneuve, de passage à Avignon. — Archive des Bouches-du-Rhône H, 848, liasse.

Ces conditions n'étaient pas exagérées, le droit de fournage s'élevant aujourd'hui à un taux supérieur, toutes proportions gardées. Elles n'eussent donné lieu à aucune protestation, si les fourniers banaux avaient répondu à la confiance forcée des habitants, au lieu de se livrer à des manœuvres qui doublaient ou triplaient quelquefois les droits légalement établis. Ce fut pour se soustraire aux exactions des employés subalternes du château, plutôt que pour s'insurger contre un droit universellement reconnu à cette époque, que la communauté entreprit la construction d'un four.

Il fallait un grand courage, une grande indépendance et une grande foi en la justice de sa cause, pour se dresser ainsi en face d'un pouvoir absolu, pour oser attenter aux droits d'un Haut-Justicier qui avait à sa disposition des juges, une prison et la potence ! ... Une dénonciation de nouvelle œuvre fut faite par le commandeur aux syndics de la communauté, au sujet de la construction de ce four communal entreprise au mépris des droits de la commanderie. Un procès s'ouvrit, dont l'issue ne pouvait être douteuse ; mais, en attendant le prononcé du jugement et tandis que la procédure, toujours longue, suivait son cours, un compromis intervenu entre les deux parties établit que, jusqu'au jugement de la contestation :
1° le commandeur ne pourrait pas faire démolir le four entrepris par les syndics.
2° que les habitants ne pourraient cuire leur pain ailleurs qu'au four de la commanderie.
Le commandeur gardait ainsi la possession.

La tentative audacieuse de la communauté ne devait pas être couronnée de succès. Entre ces deux puissances, la lutte n'était pas égale, et la plus faible devait fatalement succomber. Or, en ces temps sombres du XIVe siècle, où la féodalité fleurissait encore, la plus faible était la communauté. Les syndics le comprirent à temps, et, avant que le jugement fut rendu, ils demandèrent à passer une transaction qui consacrait une fois de plus les droits féodaux, en même temps qu'elle était un aveu de leur propre impuissance et de l'inanité des efforts essayés ; les temps n'étaient pas murs !!!

Cette transaction, en effet, portait comme condition absolue que les habitants devraient faire cuire leur pain au four banal et moudre leur blé aux moulins du commandeur ; que le droit de fournage resterait le même ; que le droit de mouture serait ainsi perçu, savoir : trois poignées sur six setiers de blé, depuis la Saint-Jean jusqu'à la Noël, et deux poignées depuis la Noël jusqu'à Saint-Jean. Les habitants s'obligèrent, en outre, à passer au commandeur reconnaissance de tous leurs biens, à lui payer toutes censes (12), services, trézains (12), selon les anciens titres, la taille annuellement et 20 livres de droits funéraires, conformément aux conventions passées en 1207, qui règlent aussi les droits de pâturage, d'arrosage et autres droits (12).
12. — Cense : « Cens, fermage, redevance due pour la jouissance d'un bien »
— Trézains : « Droit dû au seigneur de la treizième partie du prix de vente d'un bien qui relève de lui »
— Archive des Bouches-du-Rhône, H, 848, liasse.


D'ailleurs, ces tendances libérales, qui se faisaient jour de loin en loin dans notre pays, se manifestaient également ailleurs, à cette époque, et c'était toujours un événement heureux à l'égal d'une conquête, quand une commune pouvait arracher au pouvoir autocratique quelque lambeau de liberté, fut-ce à prix d'argent. C'est ainsi que les habitants de Fos-Amphoux (Var, 83) et de Saint-Jean-de-Bresc (Var, 83), relevant de la directe du commandeur, réussirent à obtenir de ce dernier la permission accordée déjà aux habitants de Puimoisson de tester et de disposer de leurs biens par donation ou autrement, en faveur de leurs parents, tant descendants qu'ascendants et collatéraux, pourvu que les héritiers vinssent reconnaître le commandeur comme Haut-Seigneur et lui payassent les lods et trézains usités en cas de rente. Il fut stipulé, néanmoins, qu'en cas de contravention aux susdites dispositions les biens ainsi cédés seraient confisqués au profit du commandeur ; que les habitants de ces deux localités payeraient une cense annuelle de 20 sous au jour de Saint-Michel, en retour de ce droit nouveau, et que, si les possesseurs nouveaux étaient étrangers, ils devaient faire résidence dans le lieu où sont assis leurs biens. Une semblable transaction fut passée avec les habitants de Montfort (10 janvier 1331).

Le 18 août 1388, eut lieu, à Puimoisson, la première visite priorale dont le procès-verbal ait été conservé aux archives de Marseille. Elle avait pour but de prendre des informations précises sur les biens, les droits, les revenus, les jouissances de chaque commanderie, non moins que sur les frères et les donats qui les habitaient. Les commandeurs Pierre Furon de Saint-Thomas de Trinquetaille et Isnard de Villemus-Claret furent nommés commissaires par Guillaume de Reillane, Grand-Prieur de Saint-Gilles, pour faire en son nom la visite de la commanderie de Puimoisson. Ils y trouvèrent quatorze frères avec le commandeur, dont trois chevaliers, savoir : Bertrand de Saint Maxime, Philippe de Reillane et Bertrand Babot.
Sept chapelains, savoir : Guillaume Constant, Guillaume Reynaud, Michel Troubat, Jérôme Albe, Raymond Clapier, Guillaume Sacreste et Rostaing Chardousse.
Quatre servants d'armes, savoir : Jean Jarjayes, Hugues Fabre, Guillaume Adalbert et Pierre Crochet.
Huit donats, dont six nobles et deux non nobles, savoir : Villemur de Moustiers, Bertrand Amic, Jean de Bodou, Bertrand de Blieux, Pierre Ardoin, Guy des Prés, Isnard Arnoux et Guillaume Maurel.
Il y avait donc une communauté de vingt-deux personnes dans le château, à cette époque, et la conventualité était en pleine vigueur. L'énumération des terres, droits, privilèges et revenus de la commanderie nous entraînerait trop loin et n'offrirait pas un grand intérêt au lecteur.
La peste épouvantable qui, de 1347 à 1350, avait fait tant de victimes en Provence, avait eu pour résultat d'amener des perturbations profondes dans la transmission des propriétés. Le commandeur jugea à propos de se faire passer reconnaissance par ceux des survivants sur lesquels devaient se prélever les droits seigneuriaux (1354).
La seconde moitié du XIVe siècle s'annonçait encore plus sombre, plus désespérante et surtout plus sanguinaire que la première. Notre malheureuse Provence fut littéralement en feu ; des troupes de toute nation, amies et ennemies, la piétinaient, la traversaient en tous sens ; il fallait payer et nourrir et les amis et les ennemis, et la distinction n'était pas toujours facile à établir. Les princes et barons, les moindres seigneurs convoquaient ban et arrière-ban ; les évêques ceignaient parfois l'épée et se mêlaient de guerre. C'est d'abord Robert de Duras, cousin germain du roi, qui vient guerroyer en Provence contre la maison de Tarente (1355). Cette révolte est à peine étouffée qu'une troupe d'aventuriers et de pillards, guidés par Arnaud de Cervoles, dit l'Archiprètre, se rue sur la Provence, « en voulant aux Etats de la reine Jeanne » Les paysans en étaient réduits à dévaster eux-mêmes les campagnes, pour lui ôter les moyens de subsister. Le pape dut composer avec lui et le fit sortir des terres du Comtat moyennant une indemnité de 40,000 écus (1355-1358).

Vinrent ensuite les bandes des routiers, des Tard-Venus, qui, alléchés peut-être par la perspective d'une indemnité semblable à celle d'Arnaud de Cervoles, menaçaient le pape Urbain V dans Avignon (1362).
Enfin, Henri de Transtamare, frère naturel du roi de Castille, se présente à la tête d'une troupe d'aventuriers où dominaient les Espagnols, ravage nos villages et vient faire le siège de Riez. Cette ville, n'ayant pas des forces suffisantes pour repousser un pareil ennemi, chercha à le désarmer par un autre moyen ; on lui offrit une rançon. Il la fixa lui-même à, 10,000 florins d'or pur, 10,000 setiers de blé et 2,000 bêtes à laine. Puimoisson payera un florin d'or par feu.

Détournons un instant nos regards de ces scènes de dévastation et de pillage et reportons-les dans l'intérieur de notre pauvre pays. Nous y voyons le commandeur sollicitant du Grand-Maître de l'Ordre une mesure générale d'affranchissement, en faveur des habitants de l'Hospitalet, membre de la commanderie de Puimoisson. Il est assez heureux pour obtenir ce privilège, qui, de serfs, faisait des hommes francs ; il sollicite également et obtient pour eux la faculté de tester librement et de donner leurs biens à qui ils voudront (12 mai 1366) (13).
13. Archive des Bouches-du-Rhône, inventaire Combe.
— Le 27 novembre 1375, Jean Négrel, recteur de la maison de Saint-Etienne de la Brègue, agissant au nom de l'Hospitalet, se fait passer reconnaissance par Raymond Marron, Isnard Aillaud, Etienne Béroard, Guillaume Gipier, Michel Lancoyn, Pierre Aymes, André Bonnet, Vincent Aillaud, Hugues Blanc, Guillaume Taxil, tous habitant Chénerilles, des terres, fours, maisons qu'ils possèdent in castro de Chanadrilles, sub dominio et seigneuria domus de Hoapitalcto.
— Archive des Bouches-du-Rhône, pièce non inventoriée.


Un autre privilège qui nous touchait de plus près et qui marquait pour nos ancêtres un nouveau pas dans la voie de l'émancipation fut la permission accordée par le commandeur Guillaume de Laureïs, à notre communauté et à tous ses habitants, de nommer un ou plusieurs procureurs ou défenseurs pour agir dans les affaires en justice et par devant toutes les cours où ils devront se présenter. Ces lettres de permission furent publiées sur tout le territoire relevant de la juridiction du commandeur et provoquèrent chez tous une explosion de joie mêlée de reconnaissance (14).
14. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 841.
— Date des lettres, 10 novembre 1380 ; les publications furent terminées le 22 juin 1381.


Cette même année, la commanderie voit encore ses domaines s'agrandir. Hugues Terpol, de Riez, et Astruge, sa femme, lui donnèrent la totalité de leurs biens, consistant en un moulin à paroir, une maison au pas d'Angres, une vigne et un pré, au quartier de Rousset, le tout situé à Riez (1380) (15).
15. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 854.

D'autre part, le Léopard de Moustiers nous apprend que les droits d'albergues et de cavalcades, à Puimoisson et à Saint-Apollinaire, s'élevaient à la somme 50 sous coronats, payables en deux fois (16).
16. Archive des Bouches-du-Rhône, B, 1056, Leopardus Moeteriorum, enquête de 1384.
— Le sou coronat devait valoir, à cette époque, 1 franc 25 centimes.
Coronat


Mais voici que nos régions, qui commençaient à respirer en paix, sont replongées de nouveau dans les horreurs de la guerre. Une nouvelle invasion plus terrible que les autres devait s'ajouter à la sanglante série ; nous voulons parler de la guerre de Raymond de Turenne contre les partisans de la maison d'Anjou en Provence, au cours de laquelle beaucoup de châteaux et de villages furent rasés et de nombreuses archives détruites. Ce terrible brigand, issu d'une très illustre famille et possesseur de beaux et nombreux fiefs, fut poussé à cette effroyable guerre, entre autres motifs, parce que le duc d'Anjou, ayant réuni au domaine comtal toutes les aliénations que la reine Jeanne avait faites, se vit privé tout d'un coup des terres que son père avait acquises de la libéralité de cette princesse et lui avait transmises à lui-même. Il voulut donc, tout en gardant celles qu'il possédait encore, recouvrer celles qu'il avait perdues. On prétend encore que la Chambre apostolique, à qui appartenait le Comtat Venaissin, lui devait de fortes sommes, soit prêtées par son père, soit gagnées par lui en guerroyant pour le pape. Il menaçait donc aussi d'envahir le Comtat, afin de contraindre la Chambre apostolique à lui payer ce qu'il prétendait lui être dû.

Quoi qu'il en soit du motif qui lui mettait les armes à la main, ce guerrier farouche rassembla autour de lui les anciennes bandes de Charles de Duras, tous les meurtriers, voleurs, larrons, brigands, faux-monnayeurs et autres gens de sac et de corde qu'il put trouver, les réunit à ses troupes et se mit à faire des courses par toute la Provence, ravageant, pillant, brûlant, faisant mille outrages (17). Ceci se passait au commencement de l'année 1390.
17. Bouches-du-Rhône, Histoire de Provence.

Or, il y avait en ce moment à la tête de la commanderie de Puimoisson un chevalier remarquable, d'une illustre famille et d'une grande valeur. C'était Réforciat d'Agoult, fils de Raymond, seigneur de Sault, vicomte de Reillane, et de Léonie ou Eléonore des Baux, des seigneurs de Meyrargues. Il tenait dans sa main les commanderies d'Aix et de Puimoisson, depuis 1385 (18).
18. Suivant le journal de Jean Lefèvre, évêque de Chartres, Réforciat d'Agoult fit hommage à Louis II, pour ces deux commanderies, le 26 mars 1385 et le 24 juillet 1386, fut nommé Grand-Prieur de Saint-Gilles, en mars 1402, par Benoit XIII, regardé comme antipape.

Ayant été nommé capitaine par le roi Louis II, dès le commencement de l'invasion, et chargé de la défense, il fit mettre en état les remparts du pays, ravitailla la place, garnit le château de soldats et de munitions de guerre. Le 20 février 1390, il se porta à Moustiers, ordonna aux habitants de fortifier leur ville, fit faire lui-même plusieurs redoutes et de nouvelles fortifications, et, après avoir assure la défense du chef-lieu de la viguerie, vint attendre derrière les murs de son château les bandes du farouche Raymond de Turenne.

Cependant un édit royal venait de mettre le guerrier hors la loi et ordonnait une convocation générale des trois Etats de la Provence, pour le 15 août 1390, dans la ville d'Aix. Richaud Richanez y fut délégué par la ville et le bailliage de Moustiers. Riez et Valensole y envoyèrent un délégué spécial. Réforciat d'Agoult y assista. Il y fut résolu une alliance offensive et défensive contre Raymond de Turenne ; une levée de gens de guerre comprenant trois cents lances, quatre mille arbalétriers, trois cent cinquante fantassins sous le commandement de Charles, prince de Tarente, frère du roi et gouverneur de Provence ; enfin des subsides et des contributions de guerre à prélever tant sur les laïques que sur les ecclésiastiques, cardinaux, pape, communautés, ordres religieux, barons, seigneurs et gentilshommes. Comme cette façon d'imposer les ecclésiastiques et les communautés à raison de leurs bénéfices pouvait paraître insolite et irrespectueuse, deux principaux et plus sages seigneurs de la province, Francisquet d'Arcussia de Cupro, seigneur de Tourves, et Réforciat d'Agoult, commandeur de Puimoisson, furent délégués par les Etats réunis pour aller représenter au pape l'état lamentable de la province et du Comtat, le prier d'agréer la taxe imposée pour la guerre et d'y contribuer lui-même (19).
19. Bouche, Histoire de Provence, passim.

C'est au cours des alarmes continuelles de ces guerres dévastatrices qu'eut lieu, à Puimoisson, le fait prodigieux que signalent Bouche, la Chronologie de Lérins et autres historiens recommandables, et que nous allons relater en terminant ce chapitre.
Les religieux qui desservaient l'église de Saint-Honorat, à Arles, et auxquels était confiée la garde des reliques de ce saint, craignirent de voir tomber ce dépôt entre les mains des bandes indisciplinées qui ravageaient le pays. Ils résolurent donc de les emporter secrètement dans le monastère de Ganagobie (Basses-Alpes), que le prieur connaissait bien pour y avoir habité autrefois. La translation eut lieu sans accident. Quelque temps après, le prieur, craignant que ces saintes reliques ne fussent pas en assez grande sûreté dans ce monastère ou guidé par quelque autre motif que l'histoire ne dit pas, les offrit au monastère de Lérins. L'abbé Jean de Tournefort les accepta avec grand empressement, et le prieur se mit en chemin, accompagné du frère sacristain et d'un autre moine. Arrivés à Ganagobie, ils prirent le précieux dépôt qui leur était confié et se hâtèrent de retourner à Lérins. « Mais, étant arrivés au lieu de Puimoisson, dit Bouche, comme un de ces moines commença à douter si ce qu'ils portaient étaient les vraies reliques de saint Honoré, voilà que sur le champ il fut atteint de grandes douleurs par toutes les parties de son corps, en façon qu'il n'avait point de repos ; mais, ayant invoqué l'assistance de ce saint, il en fut incontinent délivré (20). 20. Vide Bouche, tome II, page 421.
— Voyer Chronologie de Lérins, 1re partie, page 79, et Histoire religieuse et hagiographique du Diocèse de Digne, par Cruvellier et Amdrieu, page 386.


CHAPITRE V
Règlement fixant le droit de mortalage (1407)
— Différend au sujet du transport du bois (1410)
— Plainte, enquête et ordonnance concernant le service divin, l'aumône, la permission d'aller travailler hors le terroir, de prendre des troupeaux à ferme, le mesurage, etc. (1416)
— Saisie des juments du commandeur à Aups.
— Confirmation de son droit de dépaissance (1426)
— Donations et reconnaissances à Courbons (1454)
— Moulin désemparé en faveur du commandeur.
— Construction d'un four communal à la rue Basse.
— Violences du commandeur.
— Saisie de son temporel (1489).
— Mainlevée et remise en jouissance (1489).
— Transaction entre le commandeur et la communauté au sujet de la banalité des fours et moulins, du droit de cabestrage et d'arrosage (1491).

En sa qualité de Haut-Justicier et de seigneur spirituel du pays, le commandeur possédait le droit de mortalage, qui consistait à s'approprier une partie plus ou moins importante des biens laissés par les habitants décédés. Le montant de ce droit, n'ayant été fixé par aucun règlement, était fort arbitraire, et l'abus devenait d'autant plus facile, pour peu que le seigneur du lieu fût attaché à ses intérêts. Ce fut précisément le cas du commandeur Réforciat de Pontevès, qui émit la prétention de faire monter son droit jusqu'à la quatrième et même la troisième partie des biens du défunt, et poussa la rigueur jusqu'à ne pas souffrir qu'on ensevelît les morts dans le cimetière de l'église qu'auparavant il n'eût été satisfait de son droit de mortalage (1).
1. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 842.
— Cette prétention laisse supposer que les habitants ne se gênaient pas pour esquiver la loi quand ils pensaient pouvoir le faire impunément.
— Cabestage : Les paysans n'ayant pas de chevaux ou de bœufs pour fouler les grains de blés, ils les louaient au seigneur, et devaient payer un doit de cabestage.
— Mortelage
Les droits de mortalage sont encaissés par le prieur d'une abbaye, qui contrôle le cimetière paroissial.
En vertu d'un ancien usage, les commandeurs prétendaient avoir de droit de s'emparer du lit sur lequel étaient morts les gens qu'ils ensevelissaient dans leurs cimetières. Cette singulière redevance, désignée sous le nom de mortalage.
1. — A Gardanne, les prétentions du prieur varient entre 15 gros (ou un franc) et 5 florins, soit une différence de 1 à 4. On ignore ce qu'était l'usage avant 1465. A la faveur des débats, une coutume semble se créer, puisque tous les villageois, même ceux que le prieur veut taxer à une somme supérieure acquittent en fin de compte 15 gros.
Le mortalage ainsi tarifé est de meilleur profit que les célébrations liturgiques ; à en juger par les testaments de ces mêmes années, il rapporte autant qu'un trentain de messe. Le prix est lourd à payer pour les plus pauvres. Un affaneur retenu au service du roi René pour bêcher les vignes ou faire les vendanges gagne, en 1473 à Gardanne, un gros et demi par jour 14 (1 franc 50). Il lui faut donc dix jours pour gagner ces quinze gros qu'un berger, lui, gagnera tout juste en un mois.
— Droits de mortalage à Grenoble.


Ces prétentions exorbitantes provoquèrent des protestations et décidèrent les habitants à formuler une plainte au chapitre provincial du grand-prieuré de Saint-Gilles, par l'organe de leurs syndics et de leurs défenseurs. La vénérable assemblée députa Pierre de Gaubert, commandeur du Temple d'Arles et de Fos, pour se rendre sur les lieux et régler d'une façon définitive le montant du droit de mortalage.

Après avoir entendu le commandeur Réforciat de Pontevès, les syndics Etienne Toffan et André Jacques et, de plus, Bertrand Chardousse, Pierre Hugues, Pierre Andron et noble de Requiston, coseigneur d'Asse, tous conseillers et défenseurs des habitants de Puimoisson (2), il arrêta : que le droit de mortalage serait, à l'avenir, de 24 sous pour les défunts riches, d'un florin pour ceux d'une fortune moyenne, meïane opulentie, et de 10 sous pour ceux qui seront considérés comme pauvres (3).
Les parties s'engagèrent à respecter ce règlement, qui fut dressé dans le château de Puimoisson par le notaire Jean Roche, le 7 août 1407 (4).
2. Consiliares et defensores. — Locution citée.
3. Minores vero in bonis seu illi qui pauca possident et quasi pauperes nominant solidos decem. — Loc. cit.
4. Archive des Bouches-du-Rhône, fonds de Malte, H, 842.


Les archives de Malte nous apprennent qu'en l'année 1415 le chevalier Louis Reynaud, commandeur de Puimoisson, avait fait faire des criées dans tout le pays et jusque dans la ville de Sisteron, portant défense aux habitants de transporter du bois hors du terroir de leur pays respectif, et qu'ayant fait condamner à l'amende deux particuliers qui avaient contrevenu à cette ordonnance la ville de Sisteron, qui se prétendait en droit de faire transporter du bois en dehors, en vertu de privilèges à elle précédemment concédés, demanda que la question fût tranchée par un arbitre. D'un commun accord, les deux parties dressèrent un compromis par lequel elles désignaient Guy Crespin, de Sisteron, pour arbitre (25 novembre 1415). La sentence fut rendue en faveur du commandeur (30 juin 1416).
Hâtons-nous de dire qu'il se départit en faveur des habitants de Puimoisson de la défense portée et qu'il leur permit le libre transport du bois, de la chaux, du charbon, à la condition expresse, toutefois, qu'on l'en informerait, afin qu'en cas de besoin il pût le retenir (5).
5. 18 juillet 1416. — Archive des Bouches-du-Rhône, H, 828.

Cette défense, toutefois, n'avait pas laissé que de mécontenter les habitants, dont elle gênait le petit commerce et amoindrissait les revenus. Ils pensaient qu'un commandeur qui était si rigoureux dans la revendication de ses droits ne devait pas l'être moins dans l'accomplissement de ses devoirs. Les tentatives qu'il essayait pour se soustraire à ses obligations et pour étouffer certaines libertés de ses vassaux déterminèrent les deux syndics, Bertrand Castel et André Chardousse, à adresser un mémoire au chapitre provincial, dans lequel ils relevaient les griefs des habitants contre Louis Raynaud.

Le chapitre de Saint-Gilles députa deux commissaires Elzéar Balbi, commandeur de Comps, et Constant de « Montemalo », commandeur de Sainte-Marie-de-Rue, avec mission de se porter à Puimoisson, d'examiner les réclamations des habitants et de réglementer les obligations du commandeur.
Les deux délégués du chapitre, après avoir interrogé le commandeur, les deux syndics et plusieurs habitants de la localité, rendirent une ordonnance dont voici les points principaux :
1° Le commandeur de Puimoisson aura charge de tenir pour le service de l'église un curé, un secondaire et un clerc suffisants et capables.
2° Il devra dorénavant faire l'aumône selon qu'il a été établi et selon sa conscience.
3° Les hommes de Puimoisson pourront, dorénavant et à leur gré, labourer et cultiver hors du terroir de Puimoisson, ou dans toute l'étendue du terroir, à quelque endroit que ce soit, sans que le commandeur y trouve à contredire.
4° Les hommes de Puimoisson pourront, désormais et indéfiniment, recevoir des mègeries de n'importe quel bétail, gros ou menu, de tout genre ou espèce. Toutefois, quand le bailleur de mègerie sera étranger, il devra, au préalable, demander permission au commandeur ; dans le cas où il introduirait de l'avérage sur le terroir, sans avoir obtenu permission, il subira la peine de dénonciation accoutumée pour ce genre de délit, et, si le commandeur ne voulait pas donner la permission ou la différait sous quelque prétexte, le bailleur et le méger pourront introduire leur avérage dans le terroir, sans encourir de peine.
5° A l'avenir, le commandeur ni ses officiers ne pourront rien exiger à raison de la canne et de faune, c'est-à-dire à raison du mesurage des terres et des marchandises ; toutefois, on ne pourra se servir que de mesures marquées au coin de la cour du seigneur commandeur, signo curie dicti Dni preceptorts. 6° Quant aux cens et services dus par les habitants pour leurs possessions, il est ordonné que, chaque année, le commandeur fera publier, huit jours à l'avance, en tous les lieux accoutumés de l'endroit, le jour où les cens et services doivent être payés. Passé le terme indiqué, il sera payé un double cens ou fait un double service. Exception est faite pour les mineurs et les étrangers, dont les biens seront gagés pour leur dû, et, s'il y a lieu, la propriété sera distraite et vendue selon la coutume usitée au pays de Puimoisson, pour l'aliénation des gages ainsi faits pour semblable cause.
Ce règlement, dont nous venons de faire connaître les principales dispositions, fut dressé par le notaire Antoine Blanqui, en présence de noble Antoine Agnel, citoyen d'Aix, de Bertrand Geoffroy, d'Avignon, tous deux hommes de loi, et des témoins Antoine Bertrand et Antoine Balbi, le 24 février 1410 (6).

Il n'est pas sans intérêt de signaler cette nouvelle conquête de la commune sur le pouvoir féodal. La liberté de disposer de son travail, tant en dehors qu'au dedans du pays, sans aucun contrôle, la faculté de recevoir à mègerie, a mie creï. des troupeaux étrangers et de les garder sur toute l'étendue du terroir, la gratuité des opérations de mesurage étaient, pour cette époque, des privilèges appréciés et qui modifiaient heureusement la situation matérielle et sociale de nos pères, tandis que l'obligation d'avertir huit jours à l'avance ceux qui devaient des cens en espèces, des corvées de labour ou des corvées personnelles, leur permettait soit de se procurer les fonds, s'ils en étaient dépourvus, soit de parer aux nécessités les plus pressantes des travaux de leurs champs.
En vertu d'une donation de 1238, le commandeur avait le droit de pâturage dans toute l'étendue du terroir d'Aups. Ce droit, légitimement conféré, régulièrement exercé pendant près de deux cent ans, n'avait jamais été contesté par personne.
6. Archive des Bouches-du-Rhône, Fonds de Malte, H, 834.
Mègeries : Fermier qui partage avec le propriétaire de la ferme les produits de la récolte.
Avérages : menu bétail [chèvres et moutons], connu, dans le comté de Nice, sous le nom d'avérages.


Il arriva pourtant que les officiers de Pierre de Blacas, seigneur d'Aups, se saisissent un jour d'un troupeau de trente-cinq juments appartenant au commandeur et réussirent à faire condamner le gardien à 100 sous d'amende et à faire confisquer les juments au profit du seigneur d'Aups. Une atteinte si grave portée à la commanderie et juridiquement consacrée par un arrêt constituait une injustice que le commandeur n'était pas disposé à subir. Il fit donc appel de cette sentence par devant Jordan Bue, juge des secondes appellations de Provence. Celui-ci prononça la cassation de la sentence, ordonna la restitution des trente-cinq juments saisies à tort, confirma au commandeur le droit de pâturage au terroir d'Aups, faisant expresse défense au sieur de Blacas de l'y troubler à l'avenir (7).
7. Acte à Aix, le 28 avril 1425.
— Archive des Bouches-du-Rhône, II, 856.


En 1455, le vice-commandeur Jean de Pont reçoit de Jean-Antoine Pralier la donation de la totalité de ses biens, situés à Courbons et à Thoard, et fait passer reconnaissance aux habitants de Courbons et de l'Hospitalet, relevant de sa juridiction (8).
— Courbons et Thoard : 04 Digne-les-Bains
— Hospitalet entre Sisteron et Forcalquier 04
8. — Archive des Bouches-du-Rhône, II, 862.


Le fonctionnement de la vie communale durant le cours de ce siècle sombre et triste nous échappe, du moins dans ses détails. Toutefois, les quelques documents qui sont venus jusqu'à nous nous font constater la continuation, l'accentuation même d'un mouvement déjà signalé, d'une sorte d'évolution vers l'indépendance. L'avidité jalouse qu'elle met à conquérir quelque lambeau de liberté, à conserver les privilèges déjà acquis, les tentatives pour obtenir de nouvelles franchises, l'âpreté avec laquelle elle dispute pied à pied le terrain au pouvoir féodal, ne nous permettent pas de nous méprendre sur la nature des aspirations de notre population et sur ses tendances vers affranchissement complet. L'annexion définitive de la Provence à la France, prononcée par les Etats généraux réunis à Aix, le 9 avril 1487 (9), fut saluée par elle comme l'aurore d'un avenir nouveau. De jour en jour, les abus et les exactions lui devenaient moins supportables ; on l'a constaté par les démarches tentées contre le commandeur ; et, tout en portant encore le joug que les nécessités de l'organisation sociale lui imposaient, on comprend qu'elle le subissait avec moins de docilité et, en tout cas, ne permettait pas qu'on l'aggravât.
9. Les lettres patentes d'annexion sont du 24 octobre 1486.

Un des abus contre lequel elle lutta avec le plus d'énergie et de persévérance et dont plus tard elle devait saluer l'abolition avec bonheur était celui résultant de la banalité des fours. Depuis longtemps, cette banalité lui était devenue particulièrement odieuse, moins encore à raison des droits seigneuriaux qui y étaient attachés qu'à cause des exactions et des prélèvements exorbitants et frauduleux que se permettaient les rentiers de la banalité. Après bien des réclamations restées sans résultats, après de nombreuses plaintes toujours repoussées comme non justifiées, la communauté entreprit hardiment la construction d'un four communal dans la maison de la confrérie du Saint-Esprit, située à la rue Plus Basse, au-dessus de la fontaine. C'était là un acte de courage et d'insubordination auquel le commandeur était loin de s'attendre. Elion de Demandolx dénonça la communauté dans la personne de ses syndics, et se plaignit du dommage que ce four porterait aux siens, qui étaient banaux. C'était le 28 mars 1488. Or, en ce temps-là, plus que de nos jours encore, la procédure était lente ; et, tandis que lentement l'affaire s'instruisait, l'œuvre du four allait à son achèvement. Le commandeur, fatigué d'attendre, irrité de l'obstination de la communauté, recourut à la force brutale, et, en compagnie de ses gens et de ses affidés, se porta à de telles violences et à de tels excès contre les syndics, les ouvriers et autres habitants, que la communauté dut le dénoncer à son tour, et que la souveraine cour, sans égard pour la haute situation de l'inculpé, décréta la saisie de la temporalité de ses rentes (1488). Ce décret de la souveraine cour privait le commandeur de l'exercice de son droit juridictionnel et lui enlevait la faculté de rendre la justice. Il s'empressa de demander la permission de créer les notaires lieutenants déjugé pour leur faire exercer la justice à sa place. Mais les officiers de Moustiers, qui jalousaient la puissance d'un seigneur voisin ne relevant pas de leur juridiction, s'emparèrent aussitôt de cette juridiction et continuèrent de la détenir et de l'exercer, alors même que le commandeur avait été remis en possession de tous ses revenus (20 février 1489). Elion de Demandolx dut porter plainte et obtint du sénéchal, Aymar de Poitiers, un jugement qui ordonnait aux magistrats de Moustiers de laisser au commandeur la juridiction du territoire de Puimoisson et le rétablissait lui-même dans le pouvoir d'exercer la justice (14 février 1490) (10).
10. Archive des Bouches-du-Rhône, H, 842, H, 843.

Ces incidents étaient ainsi réglés à l'avantage du commandeur, mais les faits qui y avaient donné lieu demandaient une solution, car il était indispensable de déterminer à nouveau les droits et les devoirs de chacun, d'établir un moches vivendi entre le commandeur et la communauté. Une transaction eut lieu le 3 octobre 1491 (11).
11. Cette transaction fut reçue par Joan Raynaud, notaire de Moustiers, et Pierre Fabre, notaire de Bargemou.

Il y fut décidé :
1° Que les habitants de Puimoisson resteraient dans l'obligation de faire cuire leur pain aux fours du commandeur et non ailleurs.
2° Qu'ils devraient faire moudre leur blé à ses moulins, sauf le cas de sécheresse ou autre empêchement ; auxquels cas, ils demanderont au commandeur ou au meunier la permission d'aller moudre ailleurs.
3° Que le droit de fournage serait acquitté de la manière qu'il a été déterminé par la transaction du 19 avril 1327.
4° Que le droit de mouture serait fixé à trois poignées sur la quantité de six setiers de grains quel qu'il soit, depuis la fête de saint Jean-Baptiste jusqu'à la Noël, et à deux poignées seulement sur la même quantité, depuis la Noël jusqu'au 24 juin.
5° Les habitants s'engagent à passer au commandeur et à ses successeurs reconnaissance de tous leurs biens, chaque fois qu'ils en seront requis: à payer les censes et services de leurs biens selon la valeur indiquée par les anciennes reconnaissances ; à acquitter la cense annuelle de 20 livres, à la Toussaint, et les droits funéraires tels qu'ils ont été réglés par la transaction du 7 août 1407.
6° Que le commandeur aura le droit de prendre une journée de chaque compagnie de juments qu'on amènera dans le terroir, pour le foulage et triturage de ses blés, sans qu'il lui en coûte autre chose que la nourriture à fournir aux animaux (12).
7° Que les habitants ne mèneront plus paître leur bétail au « prat-nouvel », quartier de Saint-Apollinaire; en cas de contravention, il sera dû un gros par tête de gros bétail, 5 sous coronats par tête de bétail menu, sans préjudice du droit de dommage, de ban et d'information criminelle.
8° Que les habitants ne détourneraient plus l'eau des moulins du commandeur, pour en arroser leurs prés, en dehors des jours déterminés ci-après, savoir : depuis le mercredi à midi jusqu'au lendemain, au lever du soleil, et du samedi à midi jusqu'au lever du soleil du lundi, sous peine d'une amende de 5 sous coronats en cas de contravention (13).
12. Ce droit assez peu usité en Provence s'appelait « droit de cabestrage ». Claude de Glandevès en déchargea les habitants par transaction du pénultième février 1558. 
13. 3 octobre 1491.
— Archive des Bouches-du-Rhône, H, 848.


Cette fois encore, la communauté dut succomber ; ses petits empiètements furent réduits, et les efforts tentés pour se soustraire à la banalité n'aboutirent qu'à provoquer une réglementation qui la mit à l'abri, pour un temps du moins, des exactions et des fraudes des préposés aux fours et aux moulins banaux.

CHAPITRE VI
— Peste.
— Fourches patibulaires.
— Belle conduite du consul (1503-1504).
— Arrêt concernant Labaud (1506).
— Arrêt concernant Saint-Etienne-de-la-Brègue (1508).
— Arrêt condamnant le commandeur à contribuer aux réparations de l'église et à l'entretien des cloches (1512).
— Arrêt du Parlement ordonnant reconnaissance.
— Confirmation des privilèges du commandeur (1522).
— Transaction avec Riez au sujet de la dîme (1529).
— Dénombrement de la commanderie (1540).
— Puimoisson saisi (1541).
— Lettres de chancellerie au sujet de la banalité (1543).
— Accord entre le commandeur et Bras (1551).
— Transaction entre Claude de Glandevès et la communauté (1558).

Le XVIe siècle venait de s'ouvrir sous de fâcheux auspices ; la peste faisait des ravages dans la Provence et passait des grands centres jusqu'aux moindres bourgs. A l'approche du fléau, les habitants aisés se hâtaient de fuir les pays contaminés, tandis que les moins fortunés, attachés au sol, tremblant d'épouvante, attendaient la mort.

Si, par l'impéritie des médecins et la négligence des magistrats, beaucoup de localités de la Provence payèrent leur tribut au fléau dévastateur. Puimoisson n'en ressentit pas même les premières atteintes, et ce fut grâce à l'énergie, au rare sang-froid et à l'héroïque dévouement de son premier consul.

Gaspard Bouche, l'un des premiers anneaux de cette puissante famille Bouche qui, dans le cours de plus de trois siècles, fournit des consuls à Puimoisson, à Aix, des avocats au Parlement, des notaires, des magistrats, des historiens et des députés, remplissait, en ce moment, les fonctions de premier consul dans son pays (1). Une énergie de caractère peu commune, une grande probité, une vie irréprochable lui donnaient un grand ascendant sur la population. Sa noble conduite, dans les circonstances critiques que nous allons décrire, justifie, une fois de plus et de la manière la plus éclatante, la confiance dont l'avaient honoré ses concitoyens. Elle contraste, d'ailleurs, si heureusement avec celle de plusieurs consuls, et notamment de ceux de Marseille, qui se déshonorèrent en fuyant lâchement devant le danger, que nous croyons remplir un devoir en la faisant connaître.
1. — Ce Gaspard Bouche était un ancêtre de l'historien Honoré Bouche, dont le père était né à Puimoisson, berceau de la famille, ainsi que nous le dirons plus tard. 

Dès l'apparition des premiers symptômes du mal contagieux, Bouche donne l'ordre d'évacuer immédiatement le pays et dirige sa population au quartier des condamines ; des tentes sont dressées : une sorte de camp est formé, entouré de barrières ; des sentinelles sont disposées tout autour, pour intercepter toute communication avec les étrangers, tandis que d'autres sentinelles sont établies dans le village, pour garder les meubles délaissés et les soustraire à la rapacité des vagabonds, et que des mesures intelligentes sont prises pour assurer les approvisionnements.

Mais ce n'était là que le côté matériel et non le plus difficile. Pour gouverner ce peuple en pareille situation et rendre ces mesures efficaces, il fallait un règlement sévère et, à ce règlement, une sanction. Bouche, de concert avec ses collègues, dresse ce règlement, le fait connaître au peuple, lui fait jurer de l'observer et le fait afficher sur divers points du campement. Puis, il fait dresser des fourches patibulaires, comme une menace perpétuelle qui devra prévenir toute infraction.

« Je veux vous sauver, leur dit-il, en vous préservant de la contagion, ou, si vous avez le malheur d'être atteints, vous empêcher de la communiquer aux populations voisines. Les lois que vous avez approuvées et juré d'observer sont affichées dans ce camp ; comme vous, je jure d'y être fidèle ; je serai le premier à braver le danger, le dernier à m'éloigner. Je vous fais ici le sacrifice de ma fortune, de ma tranquillité, de ma vie. Maintenant, jetez les yeux sur ce gibet ; qu'on m'y attache, si je trahis mes serments ; mais malheur aussi à celui qui enfreindra nos lois de police et de santé (2) ! »
2. A ce langage ferme, résolu, hardi, comme celui d'un général haranguant ses soldats avant la bataille, on reconnaît bien l'ancêtre de Balthazar Bouche (1591-1669), deux fois consul d'Aix, auquel sa fermeté et sa constance pour le soutien des libertés du pays contre les entreprises du ministère valurent les honneurs de la persécution et le glorieux surnom de « Martyr de la Patrie. »
— Voyer Roux Alphérau, les Rues d'Aix.


Le peuple, soumis et respectueux, jura de nouveau obéissance. Trente jours s'écoulèrent, pendant lesquels le fléau gagnait les pays environnants : Gréoux-les-Bains, Albiosc, près de Esparron-de-Verdon (04) et autres localités étaient atteints.
Une épreuve était réservée au patriotisme de notre intrépide consul. Son fils, Melchior Bouche, habitant Allemagne, voulut se dérober au fléau. Il part, accompagné de sa femme, de ses enfants, se dirige vers Puimoisson, se présente aux barrières des Condamines, se fait connaître, invoque le crédit de son père et supplie qu'on le laisse entrer, affirmant que ni lui ni les siens ne sont atteints. La consigne était sévère ; la sentinelle menace de tirer sur lui, s'il ne s'éloigne. Le consul, instruit de ce qui se passe, arrive bientôt et, du haut des barrières, crie à son fils de s'éloigner. Les larmes de Melchior, de son épouse, de ses enfants ne parviennent pas à le fléchir. « Faites-vous une tente comme vous pourrez ; j'aurai soin de vous faire arriver des provisions et d'envoyer deux fois par jour le médecin du camp pour m'assurer de l'état de votre santé. » La quarantaine expirée, Melchior fut reçu dans le camp. Après six mois de campement aux Condamines, la population, heureuse de n'avoir eu à déplorer aucun cas de peste, rentra dans l'intérieur du pays.

Cependant des commissaires furent envoyés dans la province par ordre du Parlement, afin de prendre des informations sur l'état des lieux qui avaient souffert de l'épidémie. Apprenant que Bouche avait fait dresser des fourches patibulaires, ils virent là un excès de pouvoir et comme un empiètement sur la puissance royale, et le mandèrent pour lui demander raison de sa conduite.
— « Pourquoi avez-vous fait dresser cette croix patibulaire ? Ignorez-vous qu'au roi seul et à ses magistrats appartient le droit d'élever des gibets ? »
— « Je le sais, répliqua Bouche avec fermeté ; mais je gouverne un peuple mutin ; pour le sauver de la mort, il fallait tous les jours lui en mettre le souvenir sous les yeux ; ce moyen a secondé mes vœux ; aucun habitant n'est mort de la peste. Je vous invite à remercier le ciel de ce que, par mes soins, un peuple entier a été sauvé. »
Cette réponse énergique, faite par un homme vertueux, désintéressé, béni du peuple, qui, à la seule expression de son nom, versait des larmes de reconnaissance, imposa silence aux commissaires. Ils se bornèrent à dresser rapport de leur mission et partirent pénétrés de vénération pour un homme qu'un travail pénible et continu pendant six mois n'avait pas découragé et qui, vêtu d'un simple habit de toile, avait veillé pendant la nuit, agi pendant le jour, donnant à tous l'exemple de la patience, du courage et d'un dévouement soutenu par une vive foi et un ardent patriotisme (3).
3. — D'après Fouque, avocat. Les Faites de la Provence, tome II, pages 308, 309 et suivantes.
— Ce récit a été puisé par lui dans des mémoires particuliers tout à fait dignes de foi.


Reprenons maintenant le cours de notre récit.

Le château de Labaud
Département: Alpes-de-Haute-Provence, Arrondissement et Cantons : Digne-les-Bains 04
Parmi les membres de la commanderie de Puimoisson, se trouvait le château de Labaud, terre située entre Les Sauzeries-Hautes et Les Dourbes, ayant appartenu autrefois aux Templiers. Ce hameau, visité en 1242 par Aymar, archevêque d'Embrun, réuni au bailliage de Castellane par mandement du sénéchal, en 1352, passa à l'Ordre de Malte et releva de notre commandeur, qui y possédait la moyenne et basse juridiction (la haute appartenant au roi), des terres, deux prairies et la compascuité avec la terre de Clumanc (04). Comme il n'y avait en ce hameau ni forteresse, ni prison, quoiqu'il fût assez peuplé, le commandeur François de Blacas obtint du Parlement de Provence un arrêt l'autorisant à faire incarcérer à Puimoisson, ubi sunt tuti carceres, et à y faire juger les délinquants qui seraient pris au territoire de Labaud (4).
4. — Archive des Bouches-du-Rhône, H, 861.
— Sur la carte de l'IGN, il y a près de Les Dourbes « Le Pas de Labaud »
— Acte donné le 17 septembre 1506, à Brignoles, le Parlement y siégeant à cause de la peste.


PUIMICHEL
Département: Alpes-de-Haute-Provence, Arrondissement et Cantons : Digne-les-Bains 04
Nous avons déjà vu que la commanderie de Puimoisson possédait des terres et des droits féodaux à Puimichel. Les seigneurs, se succédant dans la possession de ce fief, ne voyaient qu'avec peine des hommes, habitant leur terre, échapper à leur juridiction et payer à un seigneur étranger des redevances qu'ils se croyaient seuls fondés à percevoir. Bien souvent, des procès s'élevaient entre les deux seigneurs ; mais les droits du commandeur, établis sur des titres d'une valeur indiscutable, triomphaient toujours. En 1507, le seigneur du Puimichel voulut affirmer ses prétentions et fit démolir le four du commandeur situé au hameau, aujourd'hui disparu, de Saint-Etienne-de-la-Brègue, terroir de Puimichel. Le Parlement, saisi de l'affaire, rendit un arrêt, le 29 août 1508, condamnant Guillaume de Sabran, comte d'Arian, seigneur de Puimichel, et mandant au juge de Digne de réintégrer le commandeur en la possession de la juridiction de Saint-Étienne-de-la-Brègue (5).
5. Archive des Bouches-du-Rhône H, 865.

On ne comprend guère qu'un commandeur, qui recourait au Parlement pour venger ses droits, eût besoin de ce Parlement pour se faire tracer son devoir. C'est pourtant ce qui arriva. Des réparations urgentes avaient été faites à l'église et au clocher ; le commandeur fut invité à participer, en sa qualité de seigneur spirituel et de gros décimateur, aux dépenses occasionnées par ces réparations. Comme il refusait obstinément son concours, les consuls le traduisirent à la cour du Parlement, qui condamna Pierre de Grasse à prendre sa part de la dépense, suivant les conventions arrêtées entre les précédents commandeurs et la communauté (6).
6. — Archive des Bouches-du-Rhône, H, 833.
— 21 avril 1512.


Il n'est pas sans intérêt pour l'historien et pour le lecteur de considérer ces pauvres syndics d'un modeste village affirmant leurs droits contre les prétentions arbitraires d'un pouvoir absolu, ne craignant pas de se mesurer avec le seigneur puissant, le traduisant à la cour du Parlement pour le ramener, par la force de la loi, à une juste appréciation de ses devoirs et pour sauvegarder les droits et privilèges du peuple qu'ils représentent. Décidément, ces hommes avaient du caractère !
Mais il arrivait parfois que ce caractère, au lieu de se traduire par la force d'âme, se changeait en obstination, leur devenant ainsi plus nuisible qu'utile.

Le chevalier Jacques de Montlor, dit de Maubec, venait de prendre possession de la commanderie. Suivant l'usage et conformément au droit qu'il en avait, il demanda aux habitants de lui faire le dénombrement de leurs biens et de produire leurs titres de possession. Cette opération était dispendieuse pour les particuliers. Parfois, les titres étaient égarés ; le papier était rare ; le parchemin était cher ; les tabellions demandaient des honoraires pour les extraits ; il fallait faire enregistrer les déclarations par notaire et aux frais de l'hommage. Les syndics prièrent le commandeur de se contenter d'un hommage collectif, qui serait fait par eux, au nom de la communauté, et occasionnerait peu de frais ; le commandeur refusa. Que faire ? On ne pouvait pas le traduire au Parlement, puisqu'il agissait dans toute la plénitude de son droit. On se réunit donc en conseil général, et il fut unanimement décidé qu'on refuserait quand même, et qu'on opposerait aux prétentions, sinon injustes, du moins insolites, du commandeur, la résistance passive. Cette fois encore, le Parlement intervint, et ce fut pour condamner les habitants à se soumettre à la loi. Qui le croirait ? La population resta sourde à cette puissante voix du Parlement et ne se départit point de son inertie. Le commandeur eut alors recours à un autre moyen qui devait triompher de cette obstination. Il leur déclara qu'il allait leur imposer de nouvelles tailles et commença par exiger le payement du droit de cabestrage, qui leur était, paraît-il, spécialement onéreux. Devant ces menaces, qui visaient le côté sensible, les habitants désarmèrent. Une délégation fut chargée d'aller apaiser le commandeur irrité, et de le faire condescendre aimablement à une transaction. Il fut décidé que les syndics s'engageraient à faire donner le dénombrement par les habitants et à faire passer les reconnaissances exigées, à payer les droits de lods et une pension annuelle de dix livres : moyennant quoi, le commandeur tiendrait quitte la communauté du droit de cabestrage et n'imposerait aucune nouvelle taille.

Toutefois, le commandeur, ayant cru reconnaître dans l'obstination de la communauté une sorte d'esprit de révolte et une atteinte portée à la légitimité de ses droits et privilèges, jugea prudent de les affirmer à nouveau et d'en demander une confirmation authentique. Il obtint de François Ier des lettres patentes datées de Lyon (juin 1522), dans lesquelles le roi dit :
« Nous inclinans à la supplication et reqneste de notre amé et féal frère Jacques de Montlor, dit de Maulec, chevalier de l'Ordre de Saint Jehan, commandeur de la commanderie de Puymisson (sic), au diocèse de Ries, tous et chacuns des privilèges, droiz, exemptions, franchises, libellez et conventions par noz prédécesseurs, comtes de Provence, aux commandeurs de ladicte commanderie passés et octroiés, avons audict suppliant, à présent commandeur dessusdit loués, confirmés, ratifiés et approuvés, et par la teneur de ces présentes, de notre certaine science, plaine puissance et auctorité, royal et provençal, louons, confirmons, ratifions et approuvons pour en joïr et user par ledict suppliant et ses successeurs a toujourmés, perpétuellement, piainement et paisiblement, tant et sy avant que luy et ses prédécesseurs en ont par cidevant deuement et justement joy et usé et qu'ils en joïssent et usent de présent, etc. (3).
3. — Archive des Bouches-du-Rhône, série H (Ordre de Malte), liasse 829.
— Pièce originale avec grand sceau en cire verte sur queue de soie verte et rouge.


Ces lettres patentes, qui consacraient ses droits d'une manière complète et absolue, servirent au commandeur pour combattre les empiètements du prévôt de Riez. Au mépris de la transaction passée le 13 juin 1288, qui désignait les terres sur lesquelles le prévôt du chapitre devait prendre la dîme, tantôt seul, tantôt avec le commandeur, le prévôt la percevait seul depuis longues années sur des terres où le commandeur seul avait le droit de la prélever. Jacques de Montlor voulut faire cesser cet abus ; il se pourvut donc par devant le juge conservateur des privilèges de l'Ordre et fit condamner le prévôt à la restitution de la dîme indûment perçue, qui fut réglée à la somme de 200 florins au bénéfice de la commanderie, non moins qu'à la ratification et à l'exécution fidèle, pour l'avenir, de la transaction de 1280 (4).
4. — 14 janvier 1529.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 833.


Ce commandeur, un des titulaires qui ont possédé le plus longtemps, fit, en 1540, le 15 mai, le dénombrement de sa commanderie. Il déclare qu'il a en sa qualité « bon droict, juste tittre et de toute ancienneté que n'est mémoyre d'homme le lieu de Puimoisson et tous droits de justice qu'il peut distribuer à son plaisir, faire élever gibet et pilori, qu'il lève les droits de ban, de passage, pulvérage, tasque, censés, lods etc., qu'il reçoit hommage des manants et habitants, qui lui doivent le droit de mouture et de fournage, qu'il possède deux vignes, trente-deux stérées de pré et un jardin, etc., etc. (5). »
5. — Archive des Bouches-du-Rhône, B, 3308.
— 15 mai 1540.


Par édit de François Ier, donné à Compiègne, il avait été arrêté que tous les biens précédemment aliénés par le domaine royal devraient faire retour à la couronne. En vertu de cet édit, le procureur du roi au siège de Digne fit saisir la terre de Puimoisson (1541). Jean de Boniface, commandeur, présenta requête au lieutenant du siège de Digne pour être déchargé de la saisie, car, disait-il, « le domaine de Puimoisson ne saurait être visé par redit en question, puisqu'il n'a, en aucun temps, appartenu à la couronne de France, mais a été donné par le comte de Provence à l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem (1150) et qu'il a été ensuite étendu et agrandi par le moyen de donations ou d'acquisitions faites à prix d'argent et pour la plupart antérieures à la réunion du comté de Provence à la France (6). »
6. — Archive des Bouches-du-Rhône, H, 829.

La question des fours et moulins, un moment assoupie, se réveilla de nouveau par la tentative, non pas cette fois des habitants, mais d'un personnage puissant possédant terre à Puimoisson. François d'Agoult et Marie de Vintimille, sa femme, entreprirent la construction d'un moulin dans leur propre fonds, situé sur le terroir, en amont des moulins banaux. Jean de Boniface dénonça cette entreprise au roi lui-même, qui avait confirmé, peu de temps auparavant, les droits de la commanderie. Des lettres de la chancellerie de François Ier ordonnèrent au Parlement de faire respecter les droits du commandeur et obligèrent François d'Agoult et Marie de Vintimille à faire démolir ce moulin, qui portait préjudice au droit de la banalité (7).
7. — 22 novembre. 1543.
— Archive des Bouches-du-Rhône, H, 848.


D'autre part, la communauté de Bras, où le commandeur possédait pareillement la banalité, demanda à ce dernier la faculté de construire un four et un moulin. La permission fut accordée, et une transaction fut passée, suivant laquelle lesdits habitants pourraient construire un four et un moulin dans leur terroir, à la condition de payer au commandeur une cense annuelle de trois charges de blé (10 novembre 1550).

Il semble que la condition n'était pas onéreuse, eu égard à l'importance du privilège concédé et aux avantages qui devaient en résulter. Et cependant, l'année suivante, la communauté de Bras demanda à transiger de nouveau et à renoncer à ce privilège, que les habitants de Puimoisson auraient été heureux de posséder, « actendu la grande pouvreté de ladite communauté de Bras-d'Asse, laquelle ne peult payer et satifaire audit sieur commandeur ledict service de troys charges de bled. » Dans une nouvelle transaction, il fut donc fait remise et désemparation au commandeur de tous les droits qu'il exerçait sur la communauté de Bras avant celle de 1550, qui fut annulée « par la seulle exhibition de la présente » (17 décembre 1551) (8).
8. — Archives des Bouches-du-Rhône, H, 858.
— Les deux actes sont enregistrés en un seul petit cahier.


Mais voici que s'ouvre un procès considérable, motivé, d'un côté, par les prétentions du commandeur et, de l'autre, par l'obstination de la commune, et qui, après bien des péripéties diverses, se termine par une importante transaction.
Les habitants, nous l'avons vu, prenaient volontiers des allures d'indépendance vis-à-vis du pouvoir seigneurial et ne négligeaient rien pour faire prévaloir ce que, à tort ou à raison, ils considéraient comme leur droit. C'est ainsi que, bien des fois, ils éludaient la loi en ne demandant pas investiture de terres par eux acquises à prix d'argent ou recueillies en héritage. Ces mutations clandestines constituaient une sorte d'usurpation et occasionnaient, en même temps qu'un préjudice matériel par la suppression du droit de lods, un préjudice moral, une atteinte sérieuse aux privilèges d'investiture que possédait le commandeur.
Claude de Clandevès voulut enrayer la marche de cet abus. Il posa en principe qu'il possédait non seulement la juridiction générale, mais encore la directe particulière de toutes et chacune terres du pays ; se plaignant ensuite de ce que plusieurs de ces propriétés avaient été usurpées sans titre, investiture et son légitime consentement, il demanda que les particuliers fussent tenus d5exhiber leurs titres emphytéotiques ou équivalents, de lui faire dénombrement, et que ceux qui ne pourraient montrer leurs titres fussent condamnés à désemparer.

La communauté déclara que les particuliers ne pouvaient être obligés à aucune exhibition de titres, « parce que les biens par eux tenus et possédés avaient esté tenus et possédés du tousjours par eux et leurs prédécesseurs desquels ils avaient cause, voyant et non contredisant ledit commandeur, laquelle patiance et tollérance leur doibt servir de titre »

L'affaire fut portée au Parlement d'Aix, qui condamna les particuliers à faire le dénombrement réclamé par le commandeur, à exhiber les titres emphytéotiques ou équivalents par devant le commissaire à ce député par la cour (12 décembre 1555).

La communauté ne se tint pas pour battue ; elle s'adressa directement au roi, pour obtenir que l'affaire fût évoquée à un autre Parlement, « prétendant avoir nombre suffisant de récusables » Le roi la renvoya à son grand conseil. L'avis du grand conseil fut que le roi devait évoquer à soi ladite instance. Il le fit et renvoya le procès par devant la cour du Parlement de Grenoble, condamnant le commandeur aux dépens, qui furent liquidés à la somme de 391 livres tournois.
Devant la cour de Grenoble, la communauté changea de tactique et prétendit simplement que tous ses biens étant allodiaux de leur nature, c'était au commandeur à exhiber les titres particuliers par lesquels lui ou ses prédécesseurs avaient acquis le droit de directe sur toutes et chacune propriétés du terroir ; elle récusait aussi les transactions et l'arrêt de la cour d'Aix. Le commandeur se préparait à maintenir cet arrêt de toutes ses forces. Mais les parties, avant de s'engager dans ce nouveau procès, prêtèrent l'oreille aux persuasions d'un ami commun, qui les amena à sortir de procès à l'amiable par le moyen d'une transaction.
Elle fut passée sur la place, dans un appareil tout à fait solennel. Au jour indiqué, la grosse cloche convoqua le conseil général ; quatre-vingt-seize chefs de famille, « faisant la plus grande et plus saine partie des hommes manants, habitans, tenans biens audit Puimoisson, à savoir de trois parties les deux et des plus entiens (anciens) pour lesquels la république est régie et gouvernée per modum universi et congrégés comme de coustume », se rendirent au lieu désigné. Bientôt, arrivèrent le commandeur Claude de Glandevès, Hodet Audibert, tabellion royal de Puimoisson, Antoine de Gallice, tabellion de la cité de Riez, Claude Serezen, juge, Jacques Paulonia, médecin, Antoine Gasquet, écuyer, tous de Manosque, et Antoine de Rochas, de Digne, chanoine de Riez, pris pour témoins ; Maximin Bouteille, Georges Gallois, Gaspard Ardoin, consuls, et finalement Suffrat Gallois, lieutenant du juge de la cour ordinaire de Puimoisson, qui autorisait la réunion et lui donnait un caractère officiel.
Il fut convenu :
1° Que tous et chacun propriétaires seront tenus de faire dénombrement de leurs biens au commandeur un mois après qu'ils en auront été requis ; de déclarer qu'ils se reconnaissent mouvant de sa directe ; de lui passer reconnaissance, de lui payer les droits de lods suivant et en la forme qu'il a été stipulé dans la transaction de 1491.
2° Qu'on ne pourrait aliéner que dans la forme de droit et selon les coutumes.
3° Que pour les droits de censes, tasques et services, la communauté payera au commandeur une rente annuelle de 10 livres tournois à chaque fête de Notre-Dame de février ; moyennant quoi, le seigneur tient quitte la communauté de tous droits de services, tasques, censes, etc.
4° Si quelqu'un venait à molester un particulier, prétendant que les biens qu'il possède relèvent de la directe d'un autre seigneur, le commandeur sera tenu d'assister au procès, de prendre la défense de celui qui sera mis en cause ; « toutefois, en cas de succombance, ce que on ne croyt, ne sera tenu le commandeur que de tenir quitte celluy qui succombera des droits à lui recogneus pour raison de sa directe et seigneurie, à cause de la pièce et propriété que se pourrait treuver de la directe d'un autre. »
5° Le seigneur renonce à prélever son droit de cabestrage, qui était d'une journée par troupeau de bétail étranger qu'on amenait dans le pays pour fouler le blé, et autorise la communauté à faire l'acquisition d'une maison commune, tenant à sa directe et franche de lausime.
6° De son côté, la communauté ne fera plus payer au commandeur aucune taille pour les biens, vignes, jardins acquis par lui ou ses prédécesseurs, biens non nobles, quoique incorporés à la commanderie, et sujets à la taille.

Cette transaction, après qu'elle aura été ratifiée par le chapitre provincial de l'Ordre, devra être soumise par les parties à l'homologation de la cour du Parlement de Grenoble. Mais, dans le cas où il interviendrait procès pour l'interprétation ou rescision de cet instrument, la communauté déclare que les parties ne pourront se pourvoir autre part que par devant le Parlement de Grenoble, « non entendant, en icelui cas, se départir du droit de leur évocation dudit procès audit Parlement où la matière est évoquée. » Comme garantie, le commandeur engage tous ses biens personnels et ceux de la commanderie, et les consuls obligent les leurs et ceux de la communauté per modum universi Ainsi se termina à l'amiable ce procès qui durait depuis quatre ans.
A la vérité, la commune n'eut pas gain de cause sur le point fondamental du litige, et, comme par ci-devant, fut obligée aux reconnaissances, aux dénombrements et au droit de lods. Mais elle s'exonéra du droit de cabestrage ; se libéra, moyennant une modique rétribution annuelle, des droits de cense, tasque, services ; acquit la faculté de posséder une maison de ville, et l'on peut dire, en somme, que si la tentative essayée n'eut pas tout le résultat qu'on en attendait, elle eut encore un succès relatif, puisqu'elle donna lieu à une transaction qui améliorait la situation matérielle et morale des habitants, et constituait une sorte de petite conquête sur les droits féodaux et un pas de plus dans la voie de l'émancipation (9).
9. — Pénultième février 1558.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 847.




CHAPITRE VII
— Guerres de religion.
— Invasion d'Antoine de Mauvans (1560).
— La chapelle de Saint-Apollinaire saccagée.
— Procès entre le commandeur et le prieur de Moustiers.
— Puimoisson est pris par Baschi, d'Estoublon (1574).
— Il est repris par le maréchal de Retz (4 décembre 1574).
— Puimoisson tient pour les Razats.
— Il est pris par les Huguenots du parti.
— De Vins s'en empare (1585).
— Puimoisson tient pour la Ligue.
— Tentative d'escalade du sieur d'Espinouse.
— Il est tué sous les murs du château (26 décembre 1587).
— Passage d'Epernon à Puimoisson.
— Il y séjourne.
— Puimoisson réduit à l'obéissance du roi par Lesdiguières.

Les cruelles guerres de la religion et de la Ligue, qui, pendant près de quarante ans, ensanglantèrent la France (1559-1598), eurent leur douloureux écho dans notre pays. La position de notre bourg, son voisinage de Riez et, par-dessus tout, la présence de sa forteresse féodale, avec ses huit tours crénelées et ses épaisses murailles, à l'abri desquelles l'ennemi devenait tout d'un coup puissant et pouvait facilement soutenir un siège, attiraient forcément l'attention et l'exposaient aux incursions des partis. Pris ou repris cinq fois successivement par les religionnaires, par les ligueurs, par les royalistes, Puimoisson ressentit plus cruellement que bien d'autres pays toutes les horreurs de la guerre civile.
Les archives municipales étant devenues la proie des flammes au cours de ces guerres malheureuses, nous, serons réduits à utiliser les documents que pourront-nous ; fournir soit l'histoire générale, soit certains mémoires particuliers, soit le trésor des archives des Bouches-du- Rhône.

A la suite des discussions sanglantes qui se produisirent à Castellane entre catholiques et protestants (1559) et que nous n'avons pas à relater ici, Antoine de Richieud, sieur de Mauvans, nouvellement converti à la religion réformée, se mit à la tête de trois cents sectaires et, après avoir saccagé le pays, massacré ou incendié tout ce qui se trouvait sur son passage, se jeta sur Senez, dont il dévasta, la cathédrale, brûla le palais épiscopal. De là, il se précipita sur Barrême (04), où il rançonna les habitants, dépouilla les chapelles et livra aux flammes les archives communales.
« Il courut ensuite, nous dit Bouche, par tous les villages, voisins du diocèse de Senez, de Riez, de Glandèves, démolissant les églises, brûlant les images, emportant croix et calices, et fit toutes sortes d'indignités tant aux ecclésiastiques qu'aux catholiques (1). »
1. — Bouche, tome, II, page 628.

Puimoisson ne fut pas à l'abri des fureurs du farouche, Mauvans, et c'est de cette incursion qu'il faut faire dater ; la disparition de nos archives et la dégradation de notre, belle église de Saint-Apollinaire ; car, nous disent les archives des Bouches-du-Rhône, « durant lesdicts troubles, ladicte église Saint-Pollinart fut assaillie et prise par gens de guerre, ceux de la religion prétendue réformée, quy auraient desmoli et abattu les autels, ymaiges et portes de ladicte église, et fut désolée, polluée et contaminée par calamité du temps et courses de ceux qui portaient les armes, ennemis de la religion catholique (2). »
2. — Archives des Bouches-du-Rhône, H, 851.

Ce misérable sectaire ne devait pas poursuivre longtemps le cours de ses brigandages. Tandis qu'il se rendait au château de Flayosc (83), où devait avoir lieu le jugement de sa cause et de celle de son frère, par devant Claude Ier de Villeneuve, marquis de Trans, il dut entrer dans la ville de Draguignan avec sa bande. La population l'ayant reconnu, elle voulut venger sur lui les excès journaliers dont le récit la comblait d'horreur ; Antoine de Richieud fut massacré, salé et porté à Aix, où il fut pendu (3).
3. — Bouche, tome II, page 628.
— Gauffridi, Histoire de Provence, 1. XI, f° 498.
— Papon, tome IV., tome XI, f° 147.


Cependant, notre chapelle de Saint-Apollinaire avait été saccagée. Vases sacrés, ornements, tableaux, meubles, tout avait disparu. Les ruines des autels abattus jonchaient le sol. Des brèches considérables faites aux murs extérieurs lui donnaient l'aspect désolé d'une ruine. Le service divin, forcément interrompu, n'avait pas été repris, le commandeur ayant négligé de la remettre en état. Le prieur de Moustiers, Guillaume Abeille, de concert avec son neveu, Jean Abeille, prétendit que la chapelle, ne servant plus au culte, avait perdu ses droits à la dîme et que, dès lors, lui, prieur, devait être seul en droit de la prélever sur les terres de Saint-Apollinaire, enclavées dans le terroir de Moustiers. « L'église, disait son avocat, ayant été polluée et contaminée par les religionnaires, a perdu son droit de dîme ; d'ailleurs, ajoute-t-il, il n'y a plus les choses nécessaires au culte, qui n'y est plus célébré. » A quoi, le commandeur Antoine Flotte, dit de la Roche, répond : « Que si l'église de Saint-Apollinaire a été assaillie, prise, saccagée par les gens de guerre, elle n'a pas été totalement ruinée, mais seulement désolée, et que depuis il a fait redresser et mettre en état ladicte église et tout ce qui est nécessaire pour décence d'icelle, où le divin office est célébré suivant l'institution de coustume ancienne ; qu'en ce moment elle est droicte et en bon estât, garnie de toutes choses requises à une église où aux festes solennelles on célèbre plusieurs messes et y sont faites processions de grande dévotion ; que le second jour de Pasques, chasque année, on va en procession dudict lieu de Puymoisson à ladicte église Saint-Polinart, à laquelle de tous les lieux circonvoisins se trouve grand quantité de peuple en dévotion, où se célèbre l'office divin par les prestres qui sont aux gages du sieur commandeur tant pour son église de Puymoisson que dudict Saint-Polinart (4). »
4. — Quelquefois l'affluence du peuple était si grande à cette procession qu'on était obligé de dire la messe hors de la chapelle, afin que tous les pèlerins pussent y assister.

Le procès, qui dura fort longtemps, fut terminé par une sentence interlocutoire, puis définitive, du juge, qui maintint le commandeur dans le droit de prélever la dîme au trézain sur tous les grains de cette partie du terroir selon les limites énoncées d'autre part (5).
5. — Cette sentence fut confirmée par un arrêt, peu de temps après.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 851.


Mais voici venir les guerres de la Ligue. A son début, cette guerre civile eut à la fois un caractère religieux et national ; elle fut aussi une guerre politique dirigée en faveur de l'ambition égoïste d'une famille.
Albert de Gondy, maréchal de Retz, successeur d'Honoré de Tende dans le gouvernement de la Provence, n'était pas encore à Aix. Mettant à profit son absence, les protestants lèvent l'étendard de la guerre civile. Cinq cents calvinistes, guidés par Thaddée de Baschi, seigneur d'Estoublon, et par Timothée du Mas de l'Isle, frère du baron d'Allemagne et beau-frère de Baschi, se mirent à guerroyer dans nos pays. Après s'être emparé de la ville de Riez (04), le 5 du mois de juillet 1574, ils vinrent faire le siège de Puimoisson, et, s'en étant rendu maîtres, ils exercèrent les plus incroyables cruautés et les plus indignes profanations. L'église fut souillée, les autels renversés, les images brûlées, les vases sacrés d'or et d'argent pillés. Il n'est pas d'excès auxquels ils ne se portassent contre les personnes et les choses. Un vénérable chanoine de la métropole de Saint-Sauveur, à Aix, François Bouche, frère de Balthazar Bouche et oncle du grand historien qui devait illustrer la Provence, étant venu à Puimoisson pour visiter sa famille, qui en était originaire et qui y résidait, fut impitoyablement massacré « par les libertins de la nouvelle religion » (août 1574) (6). Combien d'autres victimes ignorées ont dû succomber sous le fer de ces abominables sectaires !
6. — Le 17 août 1575, il fut fait à Aix « le Cantar du bout de l'an », pour François Bouche, chanoine de Saint-Sauveur d'Aix, tué par les libertins de la nouvelle religion.
— Roux Alpheran, les Bues d'Aix, tome I, pages 235-236.


Cette domination cruelle durait depuis cinq mois. Les calvinistes, fortifiés dans le château du commandeur, continuaient à semer l'épouvante dans tous les environs et semblaient défier les approches de l'ennemi. Et ce n'était pas Puimoisson seul qui gémissait sous le joug sanglant des religionnaires. Gréoux-les-Bains, Allemagne-en-Provence (04), Riez (04), Espinouse (Le Chaffaut-Saint-Jurson (04), Digne-les-Bains (04), Seyne (04) étaient entre leurs mains. Il devenait urgent de reprendre toutes ces places, de remédier à tant de maux et de couper chemin à la marche toujours de plus en plus envahissante d'un ennemi qui se croyait tout permis et menaçait d'occuper toute la Provence.

Le 19 novembre 1574, le maréchal de Retz partit d'Aix, accompagné d'Henri d'Angoulême, Grand Prieur de France, du comte de Carces, du vicomte de Cadenet, du sieur de Vins et d'autres gentilshommes de Provence, et, après avoir repris Gréoux-les-Bains sur les religionnaires, vint hardiment mettre le siège devant Riez et Puimoisson. Ici, la place était commandée par Honoré de Grasse, sieur de Tanaron, Antoine de Grasse, sieur de Montauroux, Honoré Sartoux, dit le capitaine Collomb, Jacques Gastaud, Gaspard Moret, etc., etc.

Bouche semble dire que l'ennemi ne fit pas grande résistance. A la vérité, Riez capitula comme avait fait Gréoux-les-Bains. Le déploiement considérable des forces amenées par le sieur de Flassans, le baron des Arcs, le renfort de trois mille Suisses qui venaient de Manosque pour prendre part à la lutte sous les drapeaux du maréchal de Retz (7) étaient bien faits pour déconcerter l'ennemi et lui faire perdre l'espoir d'une victoire. Néanmoins, les religionnaires renfermés dans le château de Puimoisson essayèrent de résister et le siège commença. Les assaillants pointèrent le canon vers la partie du château qui regardait le cimetière et parvinrent à faire une large brèche du côté des bas offices (2). La place fut vivement disputée. Le guidon du maréchal de Retz y fut blessé ; de Vins eut un cheval tué sous lui ; les catholiques y perdirent vingt hommes, mais parvinrent à s'emparer du pays (4 décembre 1574).
6. — Dans les Mémoires du sieur du Teil, sous le numéro VIII, on lit : « En ladite année 1574, logèrent en cette ville (Manosque) troys mille Suisses durant huit jours, qui reprirent Riez et Puimoisson. »
7. — « Dans la cuisine, on voyait encore la marque d'une brèche qui avait été faite du temps des guerres civiles ; on avait fiché dans cette brèche, visant au cimetière, trois boulots de gros calibre pour en perpétuer le souvenir. » Extrait d'un mémoire dressé, on 1789, par le sieur Martin et conservé aux archives paroissiales.


Les calvinistes y éprouvèrent des pertes sensibles. Ceux d'entre eux qui purent échappé se réfugièrent dans le couvent des Carmes de Trévans (Estoublon 04), qui leur avait déjà servi d'asile et de place forte, en 1560, et qui, l'année suivante, fut pris et rasé par le comte de Carces (30 août 1575).

En ces temps d'anarchie sociale et de perturbation universelle, les chemins n'étaient pas sûrs. Des bandes de pillards s'organisaient partout et, comme après la Révolution, profitaient du désarroi général pour accomplir leurs tristes exploits. Deux insignes malfaiteurs, Sébastien Fabre, de Mane, et Guillaume Ripert, de Saint-Etienne de Cruis, choisirent les avenues de Puimoisson pour y exercer leurs brigandages et, tombant sur Charles Giraud, muletier, de Callas, et sur Raymond, batier, de Moustiers, les assassinèrent et les pillèrent. Le crime, ayant été commis dans le terroir de Puimoisson, relevait de la juridiction du commandeur. Les deux assassins furent saisis, jugés et condamnés à être fouettés par l'exécuteur des hautes œuvres par tous les lieux et carrefours de la ville d'Aix jusqu'à la place des Jacobins, à avoir les deux oreilles coupées sur le pilori, et furent ensuite transférés sur les galères royales, avec défense d'en sortir sous peine d'être pendus et étranglés (8).
8. — Cette sentence du juge de Puimoisson fut confirmée par un arrêt du Parlement en date du 10 juin 1577.
— Archives des Bouches-du-Rhône, H, 843.


Après avoir chassé l'ennemi de ses murs, Puimoisson s'occupait à réparer les maux de la guerre, à relever ses ruines, à échapper à la disette qui menaçait les habitants, mettant ainsi à profit les bienfaits d'une paix relative qu'on croyait durable et qui ne fut qu'une trêve de quelques années. La disgrâce et la retraite du comte de Carces vint bientôt semer dans le pays de nouveaux germes de sédition et attiser le feu de la guerre civile ; l'on vit alors la Provence se diviser en deux partis : l'un tenait pour Jean de Pontevès et s'appelait le parti des Carcistes ; l'autre tenait pour le maréchal de Retz et prit le nom de parti des Razatz.
Puimoisson, fidèle au gouvernement et s'inspirant de la conduite de la ville de Riez, embrassa le parti du maréchal de Retz, qui, quatre ans auparavant, l'avait délivré du joug cruel des religionnaires. Or, le parti des Razatz comptait maintenant dans ses rangs, non seulement des catholiques, mais aussi des huguenots, et ces derniers, sous prétexte de soutenir le parti national, profitèrent des circonstances pour servir leur propre parti. Ils jugèrent donc à propos de s'emparer de nouveau de Riez et de Puimoisson, moins pour les empêcher de tomber au pouvoir des Carcistes que pour en faire des places huguenotes. Ils s'y établirent (1578) ; mais leur domination, cette fois, ne fut pas de longue durée. Henri de Valois d'Angoulême, nouveau gouverneur de la Provence, envoya des forces pour faire évacuer ces deux places, et les calvinistes durent se retirer (1578).
Sept années s'écoulèrent pendant lesquelles notre pays jouit d'une tranquillité longtemps désirée. La guerre, dite des trois Henri, vint bientôt rallumer toutes les fureurs de la Ligue (9).
9. — Henri III, roi de France ; Henri de Guise, ligueur ; Henri de Navarre, calviniste.

Ses partisans eurent hâte de s'emparer de Puimoisson, regardé comme une place importante. C'est dans ce but que le fameux de Vins, neveu du comte de Carces et généralissime des ligueurs de Provence, vint en faire le siège, après s'être emparé de Saint-Paul et de Riez. Ce fut le capitaine Cartier, ardent ligueur, qui s'en empara et en prit possession au nom de la Ligue (avril 1585). Les calvinistes, cependant, s'agitaient toujours. De Vins méditait de les frapper au cœur en attaquant, dans son château, le fameux, baron d'Allemagne, qui était leur chef. On sait quelle fut l'issue de cette lamentable bataille, qui eut pour théâtre le modeste village d'Allemagne et dans laquelle, d'après les mémoires du temps, périrent plus de douze cents catholiques sous les coups des huguenots, commandés par Les diguières (5 septembre 1586) (10).
10. — Voir Louvet, Histoire des troubles de Provence ; Fisquet, Riez, page 400 ; Feraud, Histoire et Géographie des Basses-Alpes, page 187, etc.

Après cette sanglante défaite, de Vins se réfugia à Riez et doubla la garnison du château de Puimoisson, qui fut de nouveau converti en une véritable forteresse. Les meurtrières furent garnies de couleuvrines, les tours, garnies de soldats, les caves, remplies de munitions de guerre et de provisions ; des sentinelles faisaient la ronde, jour et nuit, sur les remparts. Plusieurs fois, les calvinistes avaient tenté de s'en emparer, soit par force, soit par surprise, afin de s'y retrancher et, de là, tomber sur de Vins, qui était à Riez, et l'écraser. Plusieurs assauts vigoureux avaient été tentés en plein jour, mais sans succès ; l'ennemi, réduit à l'impuissance devant ces formidables murailles, était obligé de battre en retraite, en laissant après lui des morts et des prisonniers. Déjà, Claude de Gabriellis, ardent calviniste, était enfermé sous bonne garde dans la tour du château : un grand nombre des siens, prisonniers comme lui, remplissaient les cachots de Moustiers.

Le seigneur d'Espinouse, un des chefs du parti huguenot, forma le projet hardi de s'emparer de nuit du château et de délivrer ses coreligionnaires, voulant ainsi venger d'un seul coup tous les échecs que son parti avait éprouvés sous les murs de cette puissante forteresse.
Dans ce but, il se dirigea vers Puimoisson, à la tête de ses troupes, et le moment venu, afin de mieux tromper la vigilance des sentinelles, il fit tenir ses soldats à l'écart et s'approcha sans bruit des murs du château pour mieux le reconnaître et prendre ses dispositions en vue d'une escalade. Tandis qu'il essayait de planter un mât, il fut aperçu par la sentinelle et par la ronde. Il voulut fuir alors, mais un coup d'arquebuse l'étendit raide mort sur la place. C'était le 26 décembre 1587, vers l'heure de minuit. Mais laissons-nous raconter ce sanglant épisode par nos bons consuls, qui en furent les témoins. En effet, Jean de Selhare, prévôt des maréchaux, reçut ordre de la cour de venir faire une information secrète sur la tentative d'invasion du sieur d'Espinouse. Il partit d'Aix, le 31 décembre, accompagné d'un huissier de la cour, d'un greffier et de onze archers, et, étant arrivé à Puimoisson, fit comparaître Melchior Bouche, Barthélemy Nicolas et Jacques Surian, qui lui firent le récit qu'on va lire : «... Nous auraient dict et respondu que dimanche dernier et sur les minuits, ledict sieur d'Espinouze accompagné de quelques ungs estaient là venus aux fins de recognoistre ledict lieu, pour icelluy surprendre, et de faict se seroict, ledict feu sieur, approché du château dudict lieu pour icelluy recognoistre et commencé de faire ung trou en terre aux fins de poser une bigue, pour par ce moyen mettre une esehelle et prendre ledict lieu par escallade, et faisant le trou feut descouvert par la sentinelle dudict château et combien que ladite sentinelle dudit château heust crié par beaucoup de fois, dont personne n'aurait rien dict, et passant la ronde sur les murailles du château (11), entendant ladicte sentinelle crier et voyant ledict feu sieur d'Espinouze estre descouvert par ladicte sentinelle, se mist en fuite, et le voyant ainsi fouyr, luy feust tiré un coup d'arquebuzade ; et après une troupe des habitants dudict lieu sourtirent et apprès avoyr icelluy recongneu feut porté dans le fort dudict château, mort, lequel despuy ils ont faict acomoder (sic) et faict embaulmer par ung chirurgien et d'icelluy corp leve les entrailhes et les molles de sa teste ; quoy entendu, nous aurions requis lesdicts consuls de nous le fère voir en quel estât il estait. Et après, en compagnie desdicts consuls, nous serions acheminés aux forts ou estant aurions atreuvé ledict sieur d'Espinouze estant mort, le long d'une chaiz, vestu dun acoustrement de vellours gris et un bas de drap gris, et après avoir icelluy veu nous en serions revenus en notre dict lougis et neantmoings aurions requis lesdits consuls ou estait Claude de Gabriellis prisonnier, lesquels nous auraient dict qu'il estait dans le chateau et a ung lieu bien asseuré, les ayans néantmoings admonestés de le fère bien garder, ce qu'ilz auraient promis fère »
11. — Il existait donc un chemin de ronde pratique en dessus des murs du château, dans leur épaisseur, permettant de circuler d'une tour à l'autre. 

Suivant le pouvoir qu'il en avait reçu, le prévôt se saisit des coupables, séquestra leurs biens et fît transférer Claude de Gabriellis et ses complices dans les prisons d'Aix. Quant au sieur d'Espinouze, bien qu'il eut été tué, la procédure à son encontre n'en suivit pas moins son cours, et, selon la coutume de l'époque, le cadavre fut traduit en justice et convaincu du crime de lèse-majesté (janvier 1588) (12).
12. — Archives des Bouches-du-Rhône, B, 1494.
— Cahier de trente-deux pages, ayant trait à l'invasion de Puimoisson. Document intéressant à cause de la façon de procéder pour les crimes de cette nature, laquelle est mentionnée dans très peu d'actes contemporains.


Cependant, le château de Puimoisson était toujours gardé, et le payement du commandant et la nourriture des gens de guerre constituaient de lourdes charges pour le pays. Le 2 décembre 1590, le chevalier de Tournon, qui commandait la place, ne parvenant pas à se faire payer ses états de gouverneur et les contributions de guerre, fit saisir Balthazar Bouteille, Jacques Rougon, Gaspard Bouche « et quelque nombre de gros bétail » et contraignit Antoine Giraud, marchand, de Riez, de le payer. Celui-ci n'en voulant rien faire, la communauté députa, à Digne, le capitaine Louis Maistre et le chargea d'acheter un cheval pour M. de Tournon. On allait l'amener, lorsque le chevalier de Saint-Jeannet, sieur de Mouresse, leur fit remarquer que le cheval pourrait bien être pris en chemin par les ennemis. La communauté le paya ; M. de Saint-Jeannet le garda à la disposition de M. de Tournon, et les détenus furent relâchés (13).
13. — Archives municipale, Page, 15.

Cependant, le duc d'Epernon venait d'obtenir du roi le commandement général des troupes : or, c'était le gouvernement de la Provence que ses amis et lui sollicitaient avec instance. Il était donc mécontent. Au lieu de saluer, dans l'abjuration du roi (1593), l'avènement d'une paix si universellement désirée, cet homme factieux n'y vit que la cessation de la guerre, qui en était une conséquence, et la perte de son autorité. Le roi, qui se rendait compte de ses dispositions et de son impopularité, l'avait fait engager par toutes les voies de la persuasion à se démettre de son gouvernement, lui promettant toutes les satisfactions qu'il désirerait. Il ne reçut jamais que des réponses froides et évasives.

Malgré les ordres du roi et la répugnance du pays, Puimoisson et Riez tenaient encore pour le duc d'Epernon. Il comptait même beaucoup sur ces deux places et y entretenait de fortes garnisons, lorsqu'il apprit qu'elles lui échappaient, grâce à la défection d'Antoine de Pontevès, qui passait pour un de ses amis. Ce dernier, en effet, gouverneur de Moustiers, secondé par les troupes de Lesdiguières, rival d'Epernon, venait, par un habile coup de main, de s'emparer de la ville de Riez, dans la nuit du 26 octobre 1595. Bien que la citadelle eût résisté et refusé de se rendre, l'ennemi n'était pas moins dans les murs et la défection de Riez pouvait amener, à brève échéance, celle de Puimoisson.

En apprenant cette nouvelle, dit Louvet, « d'Epernon partit de Sisteron au commencement de novembre, par un si mauvais temps de pluie, qui avait continué toute l'automne, et un si grand débord d'eau, que ce fut miracle quand il ne se noya au passage des rivières plus de gens qu'il ne fit, et, après avoir séjourné deux jours à Puimoisson et visité la citadelle de Riez, qu'il ravitailla, il se retira précipitamment à Brignoles (14) »
14. — Louvet, Histoire des troubles de Provence, IIe partie, page 552.

Pendant ce temps, le pouvoir du duc de Guise, comme gouverneur de la Provence, avait été vérifié (17 novembre 1595), et Puimoisson, néanmoins, tenait toujours pour le parti du duc d'Epernon, ainsi que Norante, Blieux, Saint-André, etc.

Le roi, étant à Lyon, avait persuadé à Lesdiguières d'accepter la lieutenance générale de la Provence et le gouvernement de Sisteron. Il voulait, par ce moyen, l'intéresser davantage à chasser d'Epernon de la Provence et guider les armes du duc de Guise, le nouveau gouverneur.
Le comte de Carces, qui ne voyait pas de bon œil cette lieutenance générale de Lesdiguières et sa nomination au gouvernement de Sisteron, dirigea des menées contre lui et fit si bien que, lorsque Lesdiguières se présenta à Aix pour faire vérifier les lettres patentes le nommant lieutenant général du roi en Provence, le Parlement refusa de les vérifier, sous prétexte qu'il était protestant. Il dissimula cette injure, et, pour sortir avec honneur de la Provence, aussi pour témoigner sa reconnaissance au roi, il prit Martigues et Marignane. Puis, ayant reçu un canon de Pertuis et de Sisteron, il attaqua et prit Vinon, la citadelle de Riez, Puimoisson, Blieux, Saint-André, Norante, qui étaient restés fidèles à d'Epernon, les soumit au roi et se retira de bonne grâce en Dauphiné (décembre 1595) (15).
15. — D'après, Louvet, Additions, IIe partie, page 315.

Puimoisson, en ce moment, n'était pas en état d'opposer, une longue résistance. La garnison était affaiblie par des défections journalières. Les quelques soldats qui restaient trouvaient à grande peine les subsistances nécessaires dans ce pays épuisé par de longues luttes et miné par la disette. D'autre part, la fuite du duc d'Epernon n'était pas faite pour ranimer le courage de ses partisans, et ce fut sans coup férir, sans même essayer de la résistance, que le capitaine Mouton, pour lors gouverneur du château, céda la place à Lesdiguières et fit sa soumission entre les mains de ce grand capitaine (décembre 1595) (16).
16. — Dans les procès-verbaux de réduction des dettes de la communauté, nous avons pu constater que « le lieu était dans une grande extrême nécessité de grains » et que les consuls en empruntaient à des prix exorbitants « pour fournir vivres au capitaine Mouton et à ses hommes qui gardaient le château »
— Archives municipale, Page 15.


CHAPITRE VIII
État et consistance des biens de la commanderie (1397).
— Réduction (1599) et réformation des créances de la communauté (1600).
— Procès au sujet de l'aumône et transaction (1603).
— Tentative d'empoisonnement général (1613).
— Procès, saisie des revenus de la commanderie, mainlevée.
— Transaction avec le commandeur (1619).
— Reconnaissances.
— Andronys, fratricides condamnés et exécutés en effigie (1620).
— Procès d'améliorissement (1622).
— Établissement du Saint-Rosaire (1626).
— Pénitents.
— Réparations à Notre-Dame de Belle-Vue.

Après les luttes sanglantes de la Ligue, la paix était enfin rendue au pays. Puimoisson avait cruellement ressenti tous les maux de la guerre et servi de théâtre à plus d'un combat. Successivement au pouvoir des huguenots, des ligueurs, des royalistes, des révoltés, pris par les uns, repris par les autres, il avait vu couler le sang de ses ennemis et aussi de ses amis et disparaître ses ressources en argent et en grains. Ces incursions incessantes, ces garnisons qui séjournaient dans ses murs et se renouvelaient sans cesse, parfois s'augmentant, avaient complètement épuisé le pays. Les terres laissées en friche ou ensemencées dans de mauvaises conditions, ne donnant que des demi-récoltes, avaient eu pour conséquence d'accentuer l'état de gêne en élevant le prix du grain.

La communauté avait dû emprunter à de nombreux particuliers de Puimoisson et d'ailleurs des secours en blé, en espèces, en bestiaux. Profitant des circonstances troublées dans lesquelles s'opéraient ces emprunts, les prêteurs avaient eu soin de prélever, au moment du prêt, les intérêts d'un an ou même de deux à des taux usuraires, variant du dix au douze. Lorsque la paix fut rétablie, les créanciers se présentèrent pour être remboursés. Les uns réclamaient plus qu'ils n'avaient prêté ; d'autres voulaient qu'on leur payât le blé au cours actuel, qui était de beaucoup supérieur au taux en vigueur lors de la livraison. La communauté fut effrayée à la vue du gouffre immense qu'elle voyait creusé devant elle et comprit qu'il était nécessaire de faire rabattre par qui de droit ces prétentions exorbitantes et de faire réduire les créances à leur légitime valeur. Elle présenta donc une requête à Nosseigneurs tenant la souveraine Cour au Parlement de Provence, afin d'avoir commission pour faire assigner les créanciers et pour faire procéder à la réduction des contrats faits à son préjudice.

Par décret du 24 mars 1598, la Cour commit et députa Guillaume de Faucon, sieur de Sainte-Marguerite, conseiller du roi et lieutenant principal des soumissions au siège de Digne, à l'effet de procéder à la vérification des dettes et à la réduction des contrats. Balthazar Audibert, notaire, fut délégué pour lui porter sa commission.
Le commissaire, Guillaume de Faucon, arriva à Puimoisson le 18 janvier 1599, en compagnie de Jacques Saunier, son secrétaire, descendit à l'auberge « où pend pour enseigne la figure du Soleil », tenue par Étienne Nicolas, et, dès le lendemain, 19 janvier, fit comparaître les créanciers devant une commission nommée par lui et composée des trois consuls en exercice, de quatre délégués de la communauté et de l'avocat Louis Bernard, chargé d'impugner les obligations et d'en demander la réduction. Les titres furent produits et discutés ; le blé fut coté au cours moyen de l'année et du mois où il avait été vendu ; les intérêts furent tous invariablement réduits au taux du cinq pour cent, et il fut tenu compte de ceux prélevés lors de la passation du contrat (1).
1. — Le prix du blé fut côté à 3, 4 ou 5 écus la charge, suivant l'époque d'achat, et le vin au prix unique de 36 sous la coupe.
— Archives municipales, page 15.


Dans cet intervalle, une Chambre spéciale fut créée par le roi pour s'occuper du fait des réductions dans le pays de Provence, conformément aux dispositions d'un règlement particulier établi à cet effet. Les consuls de Puimoisson, qui avaient pris l'initiative de faire procéder à ces réductions avant la promulgation de ce règlement, demandèrent qu'il fût procédé à la reformation des réductions opérées.

La Chambre délégua de nouveau Guillaume de Faucon, sieur en partie d'Aiglun et de Mallemoisson, conseillé du roi et lieutenant principal des soumissions au siège de Digne. Le 25 septembre 1600, le commissaire se transporta donc à Puimoisson et, dès le 20 septembre, fit comparaître les créanciers devant une commission analogue à celle qui avait présidé aux réductions de 1599. On réforma les créances et les réductions qui paraissaient le demander, d'une manière conforme aux dispositions du règlement. Peu se regardèrent lésés dans leurs intérêts et firent appel : le plus grand nombre se soumit et accepta la réduction.

Cependant le chevalier d'Astros venait de prendre possession de la commanderie et voulut faire dresser un état détaillé de ses biens et revenus. Nous pensons que le lecteur sera bien aise de connaître d'une manière exacte l'étendue de ces biens et l'importance de ces revenus, en 1597 ; nous allons donc résumer cette pièce, qui ne manque pas d'intérêt.

Les terres de la commanderie situées dans le terroir de Puimoisson, en y comprenant le domaine de Mauroue, contiennent la valeur de :
Quatre-vingts charges de semence de froment.
Seize bœufs et deux mulets labouraient cette grande superficie de terre.
Deux membres ou filles, comme dit le procès-verbal, dépendaient du chef, qui était Puimoisson :
L'un, en terre de Cimmanc, nommé Labaud, rendait quatorze charges de froment.
L'autre, appelé l'Hospitalet de Puimichel, en rendait douze.
Les terres descartens et la dime de Saint-Jean-de-Bresc, terroir de Fos, rendaient huit à dix charges de blé par an.
Courbon, membre assez important jadis, ne rendait plus que quatre setiers de fèves.

Il est à noter, dit l'exposant, que les devanciers ont laissé couller plusieurs censes, services et droits seigneuriaux, tant à Puimichel, Courbon, « Chénerilles et Bras, que une grande partie s'en recouvreraient y ayant, grâces à Dieu, bons titres »
Voilà pour ce qui concerne les biens fonds.
Quant aux droits et juridiction, la pièce que nous analysons nous apprend que le commandeur y est seigneur haut, moyen et bas, spirituel et temporel
.
Comme seigneur spirituel, il prélève la dîme au trézain sur tous les grains, et au dizain sur le vin, les chevreaux et les agneaux. Comme seigneur temporel, il a le droit de lods à raison de six un, « qui est un lods fort avantageux » ; les censes et services sont réduits à une pension féodale de 30 livres payées annuellement par la communauté. Le rapport ne spécifie pas l'évaluation du produit annuel du droit de lods ; mais le taux en étant fort avantageux et les transactions assez nombreuses, il est permis de supposer que le commandeur réalisait de ce chef un revenu assez considérable.
Les deux fours et les deux moulins étaient banaux et s'arrentaient à 100 charges de blé par an.
Le greffe rendait 20 écus de rente.
Le droit de passage, de pulvérage et du poisson venant de Marseille était également arrenté, « mais cela n'est chose de grande valeur, dit le commandeur, tous hommes menant beste chargée et passant par ledict lieu doibt la parolle (2). »
2. Nous expliquerons, au chapitre XI, en quoi consistaient les droits de passage, de pulvérage, etc.

Voici maintenant rémunération des charges dont ces revenus étaient grevés :
Le commandeur devait assurer le service divin dans la paroisse, rétribuer les quatre prêtres, ainsi que le prédicateur du carême, fournir l'huile, le vin, les cordes pour les cloches et douze charges de grain à l'évêque de Riez.
L'aumône du jeudi saint, qui absorbait six charges de blé et quatre setiers de fèves (3), les trois charges de blé données au juge pour ses gages et l'unique charge donnée au procureur d'office étaient prises sur ce revenu.
De plus, l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem prenait annuellement 227 écus de 60 sous pièce 58 sols 5 deniers, et le roi 84 écus pour décimes, soit un prélèvement total de 311 écus 58 sols 5 deniers.
La commanderie était affermée pour la somme de 2,000 écus par an, payable un tiers en or, un tiers en grosse monnaie d'argent et le reste en sous, le tout porté dans les villes d'Avignon, Marseille ou Arles, en deux payements égaux, à la Noël et à fin mai.
3. Nous aurons à faire connaître bientôt la destination de ces fèves.

Outre ces 2,000 écus, les rentiers devaient, au cours de leur arrentement, qui durait deux ans, fournir 15 charges de blé, 10 de seigle, 18 d'avoine, 50 coupes de vin (4), 200 quintaux de foin, 800 quintaux de paille, sans préjudice de la somme stipulée dans le bail.
4. — Ce vin devait être fourni par le rentier à ceux qui communiaient à Pâques.

Le commandeur cède les bâtiments tels qu'ils sont, s'engage à faire réparer le couvert de la galerie intérieure du château, donne 78 écus pour la réparation des fours et de la métairie de Saint-Apollinaire et ne s'engage à autres réparations que dans le cas où quelque bâtiment serait ruiné ou démoli par guerre « que Dieu ne veuille » (5).
5. — Ce mémoire fut drossé à Arles, le 3 novembre 1597.
— Archives des Bouches-du-Rhône, série H, Ordre de Malte, liasse 830. Pièco originale.


On sait que, par une sage disposition, tout gros décimateur, quel qu'il fût, était obligé de prélever la part des pauvres sur le produit de la dîme perçue. Le taux de cette part variait, selon les provinces, de la vingtième à la vingt-quatrième du produit total. En sa qualité de décimateur, le commandeur de Puimoisson devait cette part. Il faut croire qu'il la payait, et de bonne grâce. Mais, le plus souvent absent du pays, il était obligé de s'en rapporter, sur ce point, à la délicatesse des fermiers, qui peut-être ne la donnaient pas en totalité, ou la distribuaient de manière à rendre le contrôle impossible. Les pauvres étaient donc lésés.

Les consuls demandèrent qu'on les chargeât de distribuer eux-mêmes cette aumône. Les rentiers s'y refusèrent énergiquement. Un procès s'ensuivit, dont l'issue fut favorable à la communauté (1599). Le commandeur pressa, de son côté, la communauté de distribuer aux pauvres l'aumône à laquelle elle était obligée et qui, depuis quelque temps, était négligée. Une transaction intervint donc (27 décembre 1603), par laquelle la commune s'obligea à payer annuellement aux pauvres une pension de 105 livres, représentant les intérêts de capitaux reçus et destinée soit à marier les filles pauvres, soit à donner du pain aux plus nécessiteux (6).
6. — Acte passé rière Maximin Maty, aux écritures de Me Bausset.

Dans rémunération faite ci-dessus par le chevalier d'Astros des charges de la commanderie, on a du remarquer la mention d'une aumône de blé et de fèves au jour du jeudi saint.
Il existait, en effet, à Puimoisson et de temps immémorial, l'usage de distribuer un pain et une écuelle de fèves bouillies à tous les particuliers qui, ce jour-là, se présentaient au château. Cette aumône était distribuée par le rentier de la commanderie, qui devait fournir également tout le vin qu'on donnait à boire, le jour de Pâques, à ceux qui avaient communié.

Cet usage de donner du vin à boire à la sainte table même, et de suite après l'accomplissement du devoir pascal, n'a pas été sans nous surprendre. Serait-ce un souvenir lointain de la communion sous les deux espèces, qui fut en usage assez longtemps dans certaines églises, alors même que la pratique de la communion sous une seule espèce était universellement répandue ? Nous n'avons vu l'existence de cette coutume nulle part à cette époque dans aucun de nos pays de la Provence, et nous n'oserions la signaler si nous n'en avions trouvé la preuve indiscutable dans un document que nous possédons et que nous allons transcrire tout au long. C'est une requête en information adressée par la communauté à Nos seigneurs du Parlement contre les rentiers de la commanderie, accusés d'empoisonnement.
Le jeudi saint de l'année 1613, il arriva que tous les particuliers qui avaient mangé les fèves distribuées à l'aumône, éprouvèrent les symptômes de l'empoisonnement. On conclut à un « vénéfice méchamment préparé par les fermiers pour se soustraire, à l'avenir, à une aumône qu'ils trouvaient gênante, ou pour se venger de quelques ennemis particuliers. On joignit à ce premier grief le refus de donner du vin aux communiants, le jour de Pâques, et on rédigea la supplique qu'on va lire :
Du 23 avril 1613.
A Nos seigneurs du Parlement.
Supplique, humblement les consuls et commun du lieu de Puimoisson que de tout temps le seigneur commandeur dudit lieu, en conséquence de ce qu'il tire plus de six mil livres de rente, tous les ans, sont en coutume de faire une aumône générale et de donner à chaque jour du jeudi saint un pain et une écuelle de fèves, à chaque particulier dudit lieu, qui le va quérir. En conséquence de quoi Marc André et Balthazard Girauds fils d'Anthoine, modernes rentiers, auraient le jeudi saint dernier fait ladite donne à plusieurs desdits particuliers en nombre de cinq ou six cent, la plus part des quels les mangèrent et se trouvèrent tous après atteints de plusieurs douleurs et maux en leur personne, ce qui leur ayant donné quelque rellache le lendemain jour du grand vendredi étant tout le peuple assemblé à l'église pu entendre la Passion lesdits particuliers qui avaient mangé lesdites fèves furent contraints dans l'église rendre leur bouche et faire plusieurs ordures même par le fondement, en sorte qu'ils furent contraints de rompre leur dévotion, au grand sandale du public, ce qui a continué jusqu'au lendemain samedi, auquel jour beaucoup de ceux qui avaient fait leur dévotion furent atteints du même vomissement que lesdits jour jeudi et vendredi, pour raison de quoi, il y a plusieurs femmes enceintes qui sont en azard de se blesser et autres personnes notables qui en ont été et sont encore bien malades en danger de perdre de leur vie, craignant comme il est vrai semblable que cela soit une espèce de venefice, comis par lesdits Girauds en conséquence de quelque inimitié particulière qu'ils ont conçu contre lesdits particuliers, combien qu'ils aient tiré tous leurs moyens et commodité dudit arrentement pour lavoir son dit père tenu plus de vingt ans.
Une des femmes desquels étant à la bassecour du château dudit lieu, voyant quelques-uns desdits particuliers qui se plaignaient de ce que on ne leur donnait pas desdites fèves à l'accoutumée cria à haute voix à ses serviteurs qui les distribuaient : Dounas nin que ben las paguarant, ce qui fait voir qu'elle femme et lesdits rentiers avaient appreté et fait led venefice, se voyant lesdits suppléants à un tel scandale s'en seraient retirés audit André Giraud et a icelui remonstre à l'amiable ledit accident lequel au lieu qui le deubst prandre en bonne part et leur donner raison, comme cela était advenu, leur aurait dit plusieurs injures, jusques à leur donner un démenti et s'ils nenssent eut plus de discrétion que lui se feust ensuivie un grand accident. Comme de même sont tenus lesdits rentiers contribués tout le vin qui est nécessaire a ceux qui font la sainte communion laquelle ayant fait plus de cinq cent personnes le jour de Pâques, ne sen trouva point dans l'église, de quoi ayant donné avis auxdits rentiers pour en envoyer, dirent tout court ne le vouloir faire combien que tous les jours précédant n'eussent fait nulle difficulté d'en donner et furent contraint ceux qui avaient fait la sainte communion de partir de la Table sans en avoir pris après y avoir demeuré un fort longtemps et parce que les susdits faits sont scandaleux ayant esgard à la callité du temps qui sont été commis pour raison desquels doivent lesdits Girauds, rentiers, être punis afin que à l'avenir ceux qui auront ledit arrentement ne commettent semblables scandales.
Ce considéré plaira à la cour attendue l'importance du fait ordonner que sur ce que dessus sur circonstances et dépendances en sera informé par le premier juge ou huissier de la cour pour l'information faite et rapport être proveu aux suppléants ainsi que la gravité du fait le requiert et sera bien (1). 7. — Au bas de la pièce, il y a un soit montré au procureur général, et plus bas un soit informé.
— Archives municipales pièces diverses.

L'information demandée eut lieu. A notre grand regret, il nous a été impossible de connaître l'issue de cette affaire, les archives municipales et celles des Bouches-du-Rhône étant muettes sur cette grave accusation. Nous avons tenu quand même à citer cette pièce, parce qu'elle nous fait connaître deux faits intéressants : la distribution de pain et de fèves au jeudi saint ; la distribution et l'absorption du vin dans l'église après la communion pascale.

Nous ne saurions dire si ce vaste empoisonnement était imputable à la malice des rentiers ou à la malpropreté des ustensiles employés à préparer les fèves ; le procès nous l'aurait sans doute appris. Ce que nous savons mieux, c'est que généralement, les fermiers du commandeur, se prévalant un peu trop du prestige que leur donnait leur position, le prenaient de haut avec la communauté. Au lieu de tempérer par la bienveillance et l'affabilité ce que leurs fonctions pouvaient avoir de pénible, ces étrangers, toujours âpres au gain, affectaient une contenance hautaine vis-à-vis de la population et s'aliénaient ses sympathies, essayant d'ailleurs par tous les moyens, d'atténuer leurs obligations. C'est ainsi que sous un prétexte futile, ils refusèrent, une année, de faire, aux pauvres la distribution de grain à laquelle ils étaient rigoureusement tenus en vertu de leur bail. Les consuls, outrés de cette injustice et voulant quand même défendre les droits des pauvres, eurent recours à un moyen extrême : ils firent saisir et séquestrer tous les grains appartenant au commandeur. A cette nouvelle, François de Boniface la Molle fit aussitôt tenir un comparant aux consuls et envoya Me Héraud, son procureur, demander à Arnoux de Joannis, sieur de Châteauneuf, conseiller au Parlement, qu'il voulut bien prononcer main-levée sur les grains appartenant au commandeur, saisis à la requête des consuls (8).
C'était le 10 mai 1619. Le commissaire donna à ces derniers un délai de trois jours pour se pourvoir et contredire ce que demandait Héraud, procureur du commandeur.
8. — Archives des Bouches-du-Rhône, série H, Ordre de Malte, 831.

L'affaire fut jugée, et la communauté fut confirmée dans ses prétentions, car le Parlement rendit un arrêt qui condamnait François de Boniface la Molle à « fournir 140 setiers mescles pour estre distribués aux pauvres indigens et nécessiteux habitans dudit lieu de Puimosson, et les avoir chascune année distribuables a chascun jour de dimanche par les ageans ou depputés dudict commandeur appellés ou présents, lesdicts consuls...., lesquels seront tenus de justifier de la bonne distribution par toutes sortes de preuves » (17 juin 1619) (9). Le commandeur dut s'exécuter ; mais, pour affirmer ses droits, il se fit passer reconnaissance par tous les habitants (1619).
9. — Archives des Bouches-du-Rhône, série H, Ordre de Malte, 835.

L'année suivante, un événement tragique vint impressionner douloureusement la population. A la suite de misérables querelles d'intérêt. Esprit et Cléophas Androny, qui depuis longtemps nourrissaient une vive jalousie contre leur frère Melchior, époux de Marie Audibert, se ruèrent sur lui et l'accablèrent de coups avec tant de fureur qu'ils le laissèrent mort sur la place. Le crime eut pour théâtre la campagne des Andronys, située au quartier de Fontandrone, non loin de la métairie des Chardousse et aujourd'hui complètement détruite. Le fratricide une fois consommé, les coupables prirent la fuite. Des recherches furent faites pour les appréhender ; les témoins furent entendus (11 septembre 1620) ; un monitoire fut lancé (12 octobre). Les coupables ne paraissaient jamais. La procédure contre eux n'en suivit pas moins son cours ; les officiers de justice de Puimoisson les condamnèrent tous les deux au supplice de la roue (10), comme contumax et défaillants.
10. — Ce cruel supplice, inventé en Allemagne et que François Ier ordonna d'infliger aux voleurs de grand chemin (édit de 1534), consistait à briser les os du coupable avec une barre de fer sur un échafaud, puis à l'exposer et à le laisser mourir sur une roue. La roue de charrue était le symbole du serf attaché à la glèbe, comme le chien, le faucon et l'épervier étaient le symbole de la noblesse. De là, le terme de roturier, venant de rota, roue. Nous ayons encore, non loin du village, un quartier nommé « le Champ de la Rode »

Voici l'extrait de jugement qui les condamne :
Nous, juge du conseil, déclarons lesdits Andronys querellés, atteints et convaincus de meurtre fratricide à eux imposé, pour réparation de quoy les avons condamnés à faire amende honorable teste et pieds nuds, la hart au col et un flambeau ardent en leurs mains au-devant la porte de l'église paroissiale dudict lieu et illec demander pardon à Dieu, au roy, à justice et au seigneur dudict lieu, et ce fait, avoir chascun deux le poing du bras droict coupé, et en après estre leurs membres brises et rompus sur une croix qu'à cest effect sera dressee à la place publique dudict lieu pour y demeurer sur une roue jusques à ce que mort naturelle s'en ensuive, faisant inhibition et defense à toute personne de leur donner assistance à peyne de punition corporelle et là où ne pourront être appréhendes seront exécutés en effigie. Les avons neanmoins condamnes à 50 livres chascun pour faire prier Dieu pour l'âme du défunt et en 300 livres d'amende pour chacun.

A la suite de ce jugement, Jean Hugou, sergent de la juridiction, redoubla d'activité pour appréhender les deux coupables. Plusieurs fois, il se transporta à la métairie ou Bastide des Andronys ; les deux coupables avaient pris la fuite et plus jamais n'avaient reparu (11).
11. — Rapport du sergent Hugou Jean (18 mai 1621).

Le 5 juillet 1621, à 7 heures du soir, la sentence de mort fut publiée par le greffier sur la place publique, près du château, dans les formes prescrites, et les deux frères Androny furent exécutés en effigie, en présence de tout le peuple rassemblé, « sur un eschaffaut a ceste fin dressé à la susdite place par Pierre Roux, exécuteur de la haute justice (12) »
Mais hâtons-nous de détourner les yeux de ce lugubre tableau.
12. — Archives municipales, pièces diverses.
— Archives des Bouches-du-Rhône, série H, Ordre de Malte, 843.
— Chef, Juridiction


En 1622, François de Boniface la Molle fit procès-verbal d'améliorations. Les commanderies étaient de simples concessions amovibles, dont l'administrateur était comptable au trésor commun de l'Ordre. Après cinq ans de possession, le titulaire d'une commanderie devait obtenir de sa langue des commissaires spéciaux qui se transportaient sur les lieux et faisaient un procès-verbal de la situation matérielle et morale de la commanderie. Ils s'informaient si le commandeur n'avait point commis de scandale dans sa commanderie, s'il avait géré les biens de l'Ordre en bon père de famille, s'il avait payé exactement les responsions, s'il avait entretenu ou réédifié les églises et les bâtiments qui dépendent de sa commanderie et si, selon l'esprit de son Ordre et ses propres obligations, il avait eu grand soin des pauvres. C'est là ce qu'on appelait le procès d'améliorations. Si ce procès-verbal était reçu et approuvé à Malte, le titulaire pouvait, à son tour et selon son ancienneté, émeutir c'est-à-dire requérir une commanderie plus importante qui viendrait à vaquer. C'est à cette sage précaution que l'Ordre était redevable de la conservation de ses biens et de ses bâtiments, y ayant très peu de commandeurs qui, dans l'espérance d'acquérir de plus grands biens, n'aient un grand soin de ceux dont on leur a confié l'administration (13).
13. — Abbé Vertot, tome V, pages 339-340.

Or, le commandeur de Puimoisson fit faire ce procès en 1622. Nous ne savons pas si le chapitre de Malte l'approuva ; toujours est-il que ce commandeur passa encore quelques années chez nous.
La dévotion au Saint-Rosaire faisait de rapides progrès dans nos pays, mais la confrérie n'était pas encore établie chez nous.
Le Frère Balthazar du Fort, prieur du couvent des Frères Prêcheurs de la Baume-les-Sisteron, étant venu prêcher le carême à Puimoisson, en 1626, fut vivement sollicité par le clergé, les consuls et les notables de l'endroit d'y établir cette confrérie. L'érection eut lieu le 29 mars de cette même année, selon les formes canoniques ; et, ce jour-là, plus de deux cents récipiendaires furent enrôlés, parmi lesquels nous voyons figurer les noms suivants : Mlle de Châteauredon ; Melle de Bouche ; J. Constantin de Sallagriffon ; Claire de Grasse ; Louise de Constantin ; Angélique de Bourdin ; Louise de Juramy ; Françoise de Castellane ; Balthazar de Bouche ; de Bouche, écuyer ; Jeanne de Chauvet ; Marquis de Joannis, etc., etc. Cette pieuse confrérie prit des accroissements si importants qu'au bout de quelques années elle compta dans ses rangs plus de six cents membres (14).
14. — Archives paroissiales.
— Voir l'acte d'érection aux pièces justificatives.


Parallèlement à cette institution pieuse, se fondait et se développait une confrérie ayant spécialement pour but de maintenir les hommes dans leurs devoirs religieux ; c'était la confrérie des pénitents blancs érigée sous le vocable de Notre-Dame de Pitié. Le lieu de réunion était l'immeuble connu sous le nom de chapelle des Pénitents, aliéné par la fabrique en faveur de la commune et vendu par celle-ci à Basile Arnoux, qui en est le propriétaire actuel. Une élégante cloche de deux quintaux, acquise par Pierre Catarnet (1673), servait à convoquer les frères aux exercices religieux. Tous les dimanches, on y chantait l'office de la Sainte Vierge, entre la première messe et la messe du prône ; les vêpres, après celles de la paroisse, les psaumes pénitentiaux et les litanies des saints. La confrérie assistait aux processions solennelles, aux enterrements, et jouissait de certains revenus, grâce aux fondations nombreuses et aux legs pieux de ceux qui choisissaient leur sépulture dans la chapelle. Les élections avaient lieu tous les ans, au jour de la Pentecôte. On y nommait un recteur, un sous-recteur, quatre maîtres des cérémonies, six choristes, douze conseillers, un maître des novices, deux secrétaires, deux trésoriers, quatre messagers et quatre sacristains. La confrérie fonctionna régulièrement jusqu'à la suppression des corporations ; elle portait comme armoiries : « D'azur à un crucifix- d'or, accompagné en pointe de deux pénitents affrontés à genoux, affublés de leurs habits d'argent, les mains de carnation jointes (15). »
15. — Armorial général, tome I, généralité d'Aix, sénéchaussée de Digne.

C'est de cette année 1626 et des deux suivantes que datent les réparations et agrandissements exécutés à la chapelle de Notre-Dame de Belle-Vue. Les comptes du trésorier nous apprennent qu'il fallut enlever une grande quantité de terre de l'intérieur, afin de pouvoir carreler le sol (16).
16. — Paye 5 escus 36 sous, pour faire retirer la terre qu'est dans la chapelle pour le mallonage.
— Comptes du trésorier.


Il fut employé à cette réparation : 1,500 moellons ordinaires et 625 vernis ; 80 setiers de plâtre, etc. On perça également l'ouverture qui sert aujourd'hui de porte d'entrée, et on condamna la porte latérale. Un bénitier en marbre fut apporté de Fréjus ; la cloison qui séparait le grand autel de la sacristie fut également reculé (17).
17. — Payé 5 escus 6 sols à Gaspard Carbonel de Moustiers, pour 625 tuiles vernissées pour Notre-Dame ; idem à Pierre Reynier, taullier, de Brunet, pour 1,500 mallons pour paver Notre-Dame, à 26 sous le cent ; huitante setiers gip à 3 sous le setier. A Hugues et Jean Bausset, maçons, pour avoir fait la porte, soustrait le buget du grand autel, plus la petite porte au-dessus la grande porto, etc., etc. Onze écus 44 sols, pour achat et port de Fréjus d'un bénitier en pierre de marbre pour Notre-Dame.
— Archives municipales, comptes du trésorier, passim.


Les marguilliers de cette chapelle étaient nommés par le conseil, chaque année, lors de la création du nouvel état. Les évêques de Riez s'étaient plu à enrichir ce modeste sanctuaire de précieuses indulgences, afin d'augmenter de plus en plus la dévotion des fidèles envers la Mère de Dieu (18).
18. — A vous donné à Jean Chabrier 32 sous, pour avoir fait et enchâssé trois des copies des indulgences de Notre-Dame. — Archives municipales, comptes du trésorier, passim.
Maurel, Joseph-Marie. Histoire de la commune de Puimoisson et de la commanderie des chevaliers de Malte, langue de Provence (1120-1792), avec la chronologie de ses commandeurs et de ses magistrats municipaux. Paris 1897. BNF

Je n'ai pas reproduit les chapitres suivant pour le moment, mais vous pouvez les lires à la BNF

CHAPITRE IX
— Peste à Puimoisson (1630-1633).
— Règlement pour les élections (1638).
— Amis de la communauté.
— Fontaine accrue (1646).
— Les Protestants obtiennent un cimetière (1646).
— Guerre de Semestre.
— Garde du château (1649).
— Peste (1650).
— Disette (1651).
— Fondation d'une chapellenie.
— Dénonciation contre le prieur (1651).
— Legs Augier pour marier les filles pauvres et apprendre des métiers aux garçons (7 octobre 1651).
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CHAPITRE X
— Agrandissement de l'église (1659).
— Foires rétablies.
— Défenses concernant l'avérage (1660).
— Boucherie.
— Plaintes contre le rentier seigneurial.
— Bons rapports avec le commandeur.
— Larcin à la chapelle de Notre-Dame (1662).
— Visite priorale (1669).
— Reconnaissance (1669).
— Nouvelle visite (1681).
— Mort du commandeur enseveli chez nous (1683).
— Abjuration des protestants (1685).
— Réaffouagement (1698).
— Elections au 1er mai (1700).
— Acquisition de l'office de maire, de contrôleur d'eau-de-vie, de crieur-juré, etc.
— Assemblée de viguerie.
— Recrue (1703).
— Régence donnée à la dispute (1703).
— Plaintes contre le prieur et ordonnance du commissaire chevalier de Vintimille.
— Condamnation du sieur *** (1704).
— Disette (1705-1718).
— La communauté saisie (1718).
— Transaction entre le commandeur et le baron de Fos (1718).
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CHAPITRE XI
— Peste de 1720.
— Reconnaissances (1724).
— Nouveau cadastre (1730).
— Acquisition du presbytère (1734).
— Démêlés avec le commandeur (1737).
— Création d'une école de filles (1739).
— Construction du clocher (1741).
— Bruits de guerre (1746).
— Suppression du droit de pulvérage (1747).
— Reconnaissances (1750).
— Droit de piquet (1751).
— Nouveaux démêlés avec le commandeur (1753).
— Nouveau règlement pour les élections (1759).
— Poste (1773).
— Reconnaissance et tentative de refus d'hommage (1783).
— Chapelles.
— Nomination du bailli de Suflren (1784).
— Aperçu de l'état social, religieux, financier et moral du pays, à la veille de la Révolution.
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TABLE DES MATIÈRES
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